Blanc Autour, Stéphane Fert et Wilfrid Lupano : MGBooks

BLANC AUTOUR

Éditeur : Dargaud (15 janvier 2021), 144 pages

Illustation Stéphane FERT, Scénario Wilfrid LUPANO

Lecture : dès 10 ans

Grâce à l'équipe de Babelio, j'ai pu découvrir la Bande dessinée BLANC AUTOUR* avant d'en rencontrer les auteurs Stéphane FERT et Wilfrid LUPANO et de pouvoir échanger avec eux autour de leur création.

De quoi parle la Bande dessinée :

Nous sommes en 1832 à Canterbury, une petite ville du Connecticut, aux Etats-Unis. L'abolition de l'esclavage a bel et bien été prononcé mais le racisme, lui, est omniprésent, sous jacent, latent, et ses plus fervents adeptes, n'attendent que la moindre occasion pour cracher leur haine. Prudence Crandall s'occupe d'une école pour filles. Même si le rôle de la femme est secondaire à cette époque, les gens de la bonne société voient d'un oeil complaisant cette école, censée divertir les jeunes filles (loin d'eux l'idée que l'éducation puisse leur servir à quoi que ce soit étant donné le rôle qui leur est réservé dans la société de cette époque).

Mais les choses se compliquent et leur complaisance cesse brutalement lorsque Prudence décide d'accueillir dans sa classe Sarah, une jeune fille noire. La population blanche locale voit rouge et considère cette "exception" comme une menace. D'autant qu'un certain Nat Turner prônant le changement des mentalités par la révolte via la violence a déjà déjà fait bien des émules parmi la population noire et des victimes du côté des blancs.

Dès lors, Prudence et son école seront les cibles de la communauté blanche alentour. La "bonne" société ne s'en prennant pas "physiquement" aux femmes, les actions menées seront plus insidieuses : interdiction pour ses protégées désirant prier et assister aux offices, de pouvoir accéder à l'Eglise de la ville, pourtant la "maison de Dieu"; dégradation de l'école, pillage, détérioration du point d'eau potable... La "malédiction" pour cette école est de se trouver de l'autre côté de la route où réside un juge "anti-noir" dans la moindre fibre de son corps et qui n'a raté aucune occasion d'anéantir l'école.

Cette histoire est poignante mais méconnue aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde. C'est la raison pour laquelle le scénariste Wilfrid Lupano l'a choisie.

En effet, Wilfrid Lupano désirait faire connaître cet épisode important, nous le raconter. Que les gens découvrent cette époque, pas si lointaine, où les femmes n'avaient pas vraiment de droit, ni d'importance. Epoque où leur rôle se cantonnait à assurer la descendance d'hommes blancs aisés et bien portants.

Peut-on alors imaginer le pavé dans la mare que fut cette école, qui avait décidé, non seulement de pourvoir à l'éducation des femmes, mais qui plus est : noires. Il n'en fallait pas plus pour susciter un tollé général.

Ce qui est très intéressant, c'est que les exactions commises à l'égard de Prudence et son école ont eu un effet "pervers". Le fait de s'en prendre à l'école fut ce qui fit connaitre cette histoire, du moins à l'époque. Avec une plainte déposée par Prudence qui ira jusqu'à la Cour suprême, rien que ça ! Mais également la médiatisation dans les journaux de ces années là. Et enfin, c'est la volonté de réduire à néant l'oeuvre de Prudence qui lui donnera toute sa force, qui décidera d'autres jeunes filles noires, venues de villes avoisinantes à grossir les rangs de l'école.

En tout et pour tout, l'école n'aura "tenu" qu'un peu plus d'un an avant les événements que vous découvrirez dans la BD.

En les fustigeant de la sorte, les Blancs de Canterbury ont fait émerger une armée de jeunes femmes extrêmement déterminées qui, à leur tour, ont engendré d'autres jeunes femmes et jeunes hommes qui ont continué le combat contre le racisme et les inégalités.

Prudence ne tenait aucun registre afin de ne pas mettre ses élèves en danger. Elle ne voulait pas qu'elles puissent être par la suite retrouvées, pourchassée ou pire.. Il y a donc très peu d'éléments qui permettent de connaitre le nombre d'élèves, et encore moins leurs noms. Mais une personne a choisi comme sujet de thèse ce qui s'est déroulé là Canterbury et a décidé de retrouver le nom de ces élèves afin de retracer leurs trajectoires et parcours de vie.

C'est grâce à cela que la BD possède une magnifique postface que je vous conseille vivement de parcourir.

L'école quant à elle est devenue un musée. Elle se visite et son histoire y est racontée aux visiteurs.

Cette BD est vibrante d'émotion avec toutes ces jeunes filles qui espèrent pouvoir s'en sortir dans la vie grâce à l'éducation qui leur était jusqu'à présent refusée. Mais également, le combat de Prudence qui est noble et courageux. Le thème de la sororité est très fort. Les jeunes filles comprennent en effet très rapidement qu'ensemble elles sont plus fortes et pourront être amenées à faire bouger les choses. Elles seront toutefois confrontées dans leur motivation à deux personnages que le scénariste a voulu quelque peu "perturbateurs". Le personnage de Sauvage, sorte de Huckhberry Finn noir, qui, en portant la voix de Nat Turner, prône la fin du racisme et des inégalités par le biais de la révolte et la violence. Et enfin Myriam, sorte de "sorcière" vivant dans la forêt qui, bien que blanche et ayant de facto accès à cette société privilégiée, a décidé de ne pas s'y conformer et de la fuir.

Stephane Fert a su donner beaucoup d'humanité à ses personnages hauts en couleurs, grâce à la rondeur de ses traits et aux multitudes d'expressions qu'il a calquées sur leurs visages. Ses représentations de la nature sont magnifiques.

Cette BD peut être lue par votre ado dès 10 ans et ne manquera pas de susciter des discussions et questionnements. De quoi échanger sur le sujet fort que sont le racisme, la différence, malheureusement encore trop présents dans l'actualité.

* A l'origine le titre "Ordre blanc autour" avait été choisi. Mais il s'est avéré trop long, difficile à prononcer et BLANC AUTOUR lui a été préféré.