Capitaine Vertu, Lucie Taïeb : double chronique, Marina et Yvon

Capitaine Vertu, Lucie Taïeb

Éditeur ‏: Pocket (9 novembre 2023)
Poche : 168 pages

Déconcertant, je pense que c'est le mot qui me vient à l'esprit pendant ma lecture et surtout en refermant la dernière page. Le roman de Lucie fait partie de la sélection NVDP 2024. Une nouvelle voix, dans le polar, mais également une voix à part, très différente de l'univers que je côtoie d'ordinaire au gré de mes lectures. Car de polar, en est-il vraiment question ? Oui, car notre héroïne travaille pour la police, au service des fraudes.. Mais il n'y a ni crime, ni victime ni d'enquête véritable. Alors me direz-vous ? Je vous laisse seul juge :)


Venez, je vous parle de ce roman qui vous plaira, à des degrés et pour des raisons différentes mais qui, en tout cas, ne pourra pas vous laisser indifférent.

Laure Vertu est capitaine de police. Exemplaire, enquêtrice de haut vol, elle ne se mêle pas vraiment à ses collègues, préférant la solitude et surtout cultiver son amour pour le secret, ce qui est lisse, sans bord ni faille, sans aspérité. Elle dirige une équipe au sein de la brigade anti-fraude. Palmarès incroyable qui suscite l'admiration auprès de sa hiérarchie, le respect parmi ses collègues mais aussi quelques pointes de jalousie. Laure surprend, intrigue, de par sa vie qui semble monacale mais également sur ce qu'implique de tels scores de réussite. Laure a ce "quelque chose" que nul ne sait exprimer. Cette façon de se mettre dans la peau de, de s'identifier pour mieux dénicher le pot aux roses et boucler chaque dossier en une vitesse record. Et d'abord, pourquoi ce nom ? Car, comme moi, vous découvrirez au fil de votre lecture que ce n'est pas le sien, mais celui qu'elle s'est choisi.


Au vu de son efficacité et son dossier sans accroc, personne ne comprend sa démission brutale, soudaine, sans explication après 10 années de bons et loyaux servies. Raison personnelle ? Burn out ? Ennuis de quelque sorte ? Nul ne sait.


Dans ce roman très court, l'auteure nous entraîne dans le sillage de cette flic qui semble ne plus exister une fois débarrassée de sa "parure" de flic. Qui est-elle sans son travail, véritable sacerdoce en ce qui la concerne ? Comment la définir en tant qu'individu, au sein de cette société si violente et anxiogène. Laure existe-t-elle en tant que personne sans son travail ? Et si ce n'est pas le cas que va-t-il advenir d'elle à présent ? Etre une femme, policière, issue de l'immigration n'est pas chose aisée dans le monde actuel qui part en vrille un peu plus chaque jour. Laure semble se fustiger pour quelque chose ? Son dossier est-il aussi lisse qu'il y parait ? Quelle zone d'ombre de son passé cherche-t-elle à masquer, à commencer par sa propre identité ? Quel héritage pourrait poser un voile d'opprobre sur toute son existence ?


A un moment clé, charnière de sa vie, face à ses choix, que va-t-elle décider de faire ? A-t-elle même la liberté de s'écouter, de redémarrer quelque chose ?

Un roman qui semble tisser la toile de cette ex-flic, dans sa vie "d'après". Dans les choix qu'une société comme la nôtre peut offrir à une femme comme elle. Ses interrogations, ses doutes, la vision qu'elle porte sur le monde. Et son refus d'entrer dans la norme, dans les cases que la société impose. Laure refuse d'entrer dans le moule, de faire ce que l'on attend d'elle. Elle mettra toute son énergie à s'ériger en faux contre cette société qui ne lui convient pas (ou plus ?) comme elle en a mis dans chacune de ses enquêtes.


Oui, nous avons bien là une nouvelle voix. Et surtout une nouvelle vision de nous en tant qu'individu perdu dans la masse. Laure porte un regard sur le monde qu'elle a, jour après jour, de plus en plus de mal à cerner et dans lequel elle peine à trouver sa place.


Une fin ouverte ? (ou pas ?), je vous laisse le découvrir. Un roman qui ne peut vous laisser indifférent en fin de lecture, comme je vous le disais plus haut.



CAPITAINE VERTU, Lucie Taïeb

Editions Pocket, 162 pages

Sélection Nouvelles Voix du Polar 2024


Capitaine Vertu... quel étrange nom... quel étrange roman...


Pour une Nouvelle Voix, c'en est une. C'est peut-être même le polar pour ceux qui n'aiment pas les polars. Un roman sans tueur ni braqueur à trouver, quasiment sans action, un texte très littéraire au style soutenu. J'en sors étonné, perplexe, moi qui suis habitué  à des thrillers frénétiques, après ce texte hallucinatoire et flou. Des mots que j'utilise rarement dans le genre policier.


Laure Vertu est capitaine de police à la brigade des fraudes. Une flic de bureau, de dossiers. Une redoutable enquêtrice devant laquelle les suspects craquent sous ses questions. Femme effacée, secrète, personne ne peut dire qu'il est proche d'elle. Elle n'a d'ailleurs pas de vie sociale. Mais cela "roule" pendant 10 ans. Jusqu'au jour où une photo floue va tout faire voler en éclats pendant une nuit au commissariat. Le matin trouvera les lieux vides et sa lettre de démission posée en évidence. Et là, Vertu s'évapore.. On a vraiment l'impression d'une femme qui part en fumée, se dissout dans la ville. Pourquoi ? Le sait-elle elle-même ? Des souvenirs, des rêves (beaucoup), un sac de sport au contenu dangereux et des malfrats proches dans une France qui est la nôtre mais pas tout à fait. Les indices ne sont pas évidents..


Vertu est de la brigade des fraudes. Ce choix de l'auteure n'est pas innocent. Ni même un autre choix patronymique dont je ne peux pas parler ici. De très courts chapitres qui brossent un portrait de flic plus qu'atypique, de femme qui se perd en se cherchant au plus profond de ses souvenirs et de ses cauchemars. Un texte surprenant qui ne plaira pas à tout le monde. Amateurs de tueurs fous et d'enquêtes riches en coups de théâtre, allez lire ailleurs.. mais.. lecteurs friands de textes très écrits et d'histoires racontées d'une manière inhabituelle, je pense que vous trouverez votre bonheur ici. 


En tout cas, Lucie Taïeb est une voix à part. Cela est certain. Et c'est à découvrir.


Merci aux éditions Pocket pour ce service de presse étonnant.

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