Amour, meurtre et pandémie, Qiu Xiaolong : Marina

 

Amour, meurtre et pandémie, Qiu Xiaolong

Éditeur ‏: ‎Points (24 mai 2024)
Poche ‏: ‎240 pages

Cette année j'ai la chance d'avoir été retenue pour faire partie du jury qui décernera le Prix du meilleur Polar Point en janvier 2025. Dix romans ont été retenus dans la sélection (voir photo en bas de post). Amour, meurtre et pandémie est le premier roman de la sélection dans lequel j'ai décidé de me lancer. J'étais en effet très curieuse découvrir les codes et spécificités de ce type de polar issu d'un pays que je connais bien peu. Je ne ferai pas durer le suspense, j'ai beaucoup aimé ma lecture et je vous dis pourquoi.

Le roman débute dans les rues désertes de Shangaï. Le covid a déjà durement frappé la province de Wuhan. Les autorités sont sur les dents avec une politique zéro covid assumée, des caméras de surveillance partout, un état policier qui place les habitants dans une situation oppressante, malsaine et, contrairement au but recherché, incertaine. En effet, il est bien difficile pour le commun des mortels de savoir ce qui pourrait déplaire ou aller à l'encontre des autorités. Et dans ce cas, au moindre écart, il n'est pas rare que l'auteur du "délit" soit emmené manu militari.. où exactement ? Nul ne le sait vraiment. 

C'est dans cette ambiance, que notre héros l'inspecteur Chen se plait à comparer à 1984 de George Orwell, qu'il est appelé à enquêter sur une série de meurtres s'étant déroulés non loin de l'hôpital central de la ville. Chen qui a connu son temps de gloire en tant qu'enquêteur est depuis peu dans l'œil du cyclone. Déchu de son statut d'investigateur hors pair, mis en convalescence pour de vils et obscurs prétextes, cette enquête pourrait bien sonner son retour en grâce auprès des autorités. Mais le souhaite-t-il vraiment ? Est-il prêt à plier sous le joug de ce gouvernement dont la politique zéro covid a déjà engendré tant de morts pour redorer son blason. Rien n'est moins sûr. Surtout lorsque Chen découvre l'étau terrible de la censure qui se resserre autour des lanceurs d'alerte souhaitant informer les habitants sur l'ampleur de la catastrophe. L'hôpital, au coeur de la ville, est d'ailleurs sous tension avec un personnel pas assez nombreux, des lits manquants pour pouvoir accueillir les patients qui arrivent en masse. Qui est l'auteur des meurtres ? Pourquoi ? Je vous laisse le découvrir.

L'auteur insuffle à son récit un rythme faussement lent. Il joue ainsi avec les sens du lecteur, tout en distillant un sentiment oppressant et inquiétant. Le récit est de plus entrecoupé de poésie ce qui, je trouve, donne au roman un certain cachet et une identité propre. Chen, que des gens extérieurs pourraient trouver indolent, se fond dans le décor et se révèle bien au contraire diablement efficace dans ses observations et déductions. Il est en cela un protagoniste fort intéressant. De même que Jin, sa jeune assistante. J'ai aimé suivre ce récit narratif à la première personne qui permet une immersion totale. Nous sommes au côté de Chen, vivant l'enquête de l'intérieur tout en découvrant la ville de Shanghai. Pour certains le rythme s'avère trop long, l'enquête pas assez tortueuse, manquant de rebondissements. En ce qui me concerne ce n'est pas l'investigation de Chen qui prime dans ce roman mais bien l'ensemble, la découverte d'un pays en proie à un terrible défi sanitaire et l'impact de sa politique très rude sur sa population.

 J'ai à présent hâte de parcourir les autres titres de la sélection.

En refermant le roman je me dis qu'il n'aurait jamais pu paraitre en Chine, n'ayant certainement pas réussi à percer le rideau de la censure, clairement pas en accord avec les règles et directives du Parti. Un Parti désireux d'occulter la façon dont la situation covid a été gérée dans le pays et l'ampleur de la catastrophe. Je n'ai donc pas été surprise d'apprendre qu'Amour, meurtre et pandémie est paru aux Etats-Unis, en anglais et c'est tant mieux car c'est ce qui a permis à ce récit fort et intéressant d'atterrir entre nos mains occidentales.