Tuer le fils, Benoît Séverac : MGBooks

Tuer le fils,  Benoît Séverac
Ed. La Manufacture de livres, 288 pages

Avant même de commencer le roman, je le garde entre mes mains pour en apprécier le graphisme : en effet les romans brochés édités par La Manufacture de livres sont beaux et de format atypique (entre broché et poche).

Résumé :

Matthieu Fabas a tué parce qu’il voulait prouver qu’il était un homme. Un meurtre inutile, juste pour que son père arrête de le traiter comme un moins que rien. Verdict, 15 ans de prison. Le lendemain de sa libération, c’est le père de Matthieu qui est assassiné et le coupable semble tout désigné. Mais pourquoi Matthieu sacrifierait-il encore sa vie ? Pour l’inspecteur Cérisol chargé de l’enquête et pour ses hommes, cela ne colle pas. Reste à plonger dans l’histoire de ces deux hommes, père et fils, pour comprendre leur terrible relation.

Les personnages :
  • le fils
Matthieu, un jeune homme, qui semble paumé, et qui a fait de la prison et qui est sur le point d'en sortir, après avoir purgé sa peine. Matthieu, près avoir "payé son dû à la société" comme on dit pourrait très bien devoir y retourner car les circonstances autour de la mort de son père semblent suspectes.
De plus, beaucoup d'indices tendent à le montrer du doigt comme coupable "idéal". Il nourrit une rancoeur et possède un lourd passif envers son père. Il souhaite depuis son plus jeune âge que son père le voie, s'occupe de lui.. mais a été sans cesse rabroué, rabaissé, considéré comme indigne d'intérêt. Le meurtre qu'il a commis, pour lequel il a été incarcéré 15 années a été le seul moyen d'expression qu'il a trouvé pour que son père le voie enfin. Il voulait que son père le considère comme un homme. Il voulait prouver de quoi il était capable. Mais même après cet acte horrible et sordide, geste ultime d'amour/haine envers son père, les relations entre les deux hommes n'ont pas changé. Son père semble n'avoir que mépris pour lui.
  • La victime
Père aux idées assez radicales, vouant un culte (malsain ?) aux gradés nazis ayant sévi pendant la 2ème Guerre Mondiale. Membre d'un groupe de motards pour qui les ratonnades et autres expéditions punitives sont des actes nobles en vue de se protéger de l'invasion de l'Etranger, dans tout ce qu'il représente de dangereux, méprisable et vil.
  • Les flics
Une équipe comprenant le chef de groupe, Cérisol. Il est marié à une femme devenue aveugle, sportive de haut niveau (membre de l'équipe olympique) qui le comprend et l'épaule. Complètement accro à la confiture, mais de qualité uniquement, originale et si possible "maison".
Nicodemo le flic Portugais, envahi par sa famille et engoncé dans des traditions qui lui pèsent et dont il ne sait pas comment se dépêtrer. Il est de plus en plus désabusé à l’approche de la retraite. Il constate avec amertume, au quotidien, les limites de leur action dans leur quête d'un monde plus juste et meilleur.
Grospierre, le "bleu", le dernier arrivé, le plus diplômé des trois. Fort d'un diplôme en anthropologie, il apporte beaucoup à l'équipe. 
Ils sont tous les 3 confrontés au métier de policier qui s'avère chaque jour plus dangereux. En proie à leurs démons, chacun se démène pour y faire face en pouvant compter sur l'esprit de groupe pour les y aider.
Ils côtoient des individus peu recommandables, doivent faire face à des crimes sordides. Ils sont fatigués, désabusés, en manque d'effectif pour lutter contre le mal sous toutes ses formes.

Benoît a de nouveau frappé très fort avec ce roman, dont les mots, même une fois la dernière page tournée, continuent de trotter dans ma tête. L'auteur ne se pose jamais, à aucun moment, en donneur de leçons. Il est le témoin de faits de société, et nous en brosse un tableau sans concession. Il nous invite à découvrir cette histoire, à essayer de comprendre les relations qui se tissent entre un père et son fils. Les relations qu'ils entretiennent sont conflictuelles, faites de non-dits, d'absence de communication. Le père, démissionnaire, a très certainement dû cacher au plus profond de lui sa honte de ne pas avoir su élever un fils seul. Un fils privé trop tôt et de façon trop brutale de l'amour maternel. Mais Il n'y a pas de manuel pour savoir comment être père. Les choses auraient-elles été différentes s'il s'y était pris autrement ?

Une fois le roman terminé, restent les interrogations suscitées par ma lecture : comment se présente la société d'aujourd'hui, ses codes ? Il s'y passe tellement de choses, relayées à la vitesse de la lumière avec tous les médias qui sont désormais disponibles. Médias qui, souvent, tendent à banaliser ce qui ne devrait pas l'être. 

Thématique et questions :

 Ce que l'on devient en tant qu'adulte dépend-il seulement de notre enfance, de notre éducation ? 
Pour quelqu'un qui a eu une enfance difficile, des problèmes relationnels avec ses parents : cela signifie-il forcément qu'il reproduira cela une fois adulte, et parent lui même ? 
Dans ce roman, l'idée de passation de savoir, de transmission est très présente : cela ne se cantonne pas à la relation entre Matthieu et son père. Mais cela va au-delà et concerne d'autres personnages du roman.

La prison change toute personne qui y séjourne. 
Quelqu'un ayant commis un crime, qui a été jugé, a purgé sa peine, peut-il se réinsérer ? Sera-t-il à jamais soupçonné quoiqu’il fasse ? La personne peut-elle se reconstruire après une peine de prison ? Peut-elle surmonter cela ? Etant souvent confronté à plus dangereux, méchant ou mauvais que soi en prison, peut-ton s'en sortir ? Des initiatives comme les ateliers d'écriture, possibilité d'exutoire, peuvent-elles aider à aller vers une forme de réinsertion ?

Dans ce livre nous slalomons, comme on le ferait sur une moto, pour prendre les virages, éviter les obstacles et fausses pistes que l'auteur a semé tout du long. Il nous faudra démêler le vrai du faux avec, pour but ultime, de parvenir à se faire sa propre idée sur l’identité du coupable.
Matthieu est-il coupable ? Le fait d'avoir fait de la prison doit-il forcément le désigner comme suspect ?

J'ai trouvé ce roman très prenant et très puissant dans ce qu'il dépeint de la relation père-fils et de notre société. La plume de Benoît s'est faite encore plus acérée depuis ses romans précédents Trafics et 115

L'écriture de l'auteur a gagné en profondeur et Benoît confirme, avec "Tuer le fils",  son talent et la puissance de son écriture. Un roman vibrant d'humanité.



  • Trafics, YvonS 
  • 4 questions posées à Benoît, Éditions Syros 
  • Le jour où mon père a disparu, YvonS et MGBooks
  • Rendez-vous au 10 avril, YvonS
  • Auteur à la page # 3
  • Skiatook lake (co-ecrit avec Hervé Jubert), MGBooks







Commentaires

  1. Très touché par cette chronique et impressionné par la précision de l'analyse. Merci beaucoup.

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