Un auteur ? Non, un illustrateur :) Portrait de Thomas Tessier #47, novembre 2024

 


Un très grand merci à toi, Thomas, d'avoir accepté de nous parler un peu de ton parcours et de ton univers. Ce que tu réalises est superbe et nous sommes fiers et très heureux que tu sois notre portrait pour ce mois de novembre, permettant ainsi à nos lecteurs d'en apprendre un peu plus sur toi et ton processus créatif.

Peux-tu te présenter à ceux de nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore ? Nous retracer un peu ton parcours professionnel. Tu travailles avec plusieurs maisons d'édition et dans plusieurs domaines, n'est-ce pas ?

Je m’appelle Thomas Tessier, je suis illustrateur dans l’édition, plus particulièrement dans le secteur jeunesse depuis plus de 20 ans. Je collabore avec de nombreuses maisons d’édition. Je suis ce qu’on appelle un « illustrateur de commande », c’est-à-dire que les maisons d’éditions me contactent pour me proposer un projet qu’il s’agisse d’un album, d’un manuel scolaire, de jeux, d’histoires à illustrer et depuis quelques années je m’occupe de collections, c’est-à-dire que j’illustre tout un environnement graphique décliné en albums, cahiers de coloriage, etc. Parmi les collections que j’illustre il y a les Alphas pour les éditions Récréalire ou encore Klorophyle (un kangourou très connu des enfants en Suisse) pour les éditions Auzou.

Depuis quelques années, j’ai commencé à créer ce que j’appelle des improvisations. Je pars d’un thème donné et je me donne un temps assez court pour créer une image. Cela m’ouvre en ce moment d’autres approches graphiques et donc de nouvelles opportunités.

Quel genre de lecteur es-tu ?

À l’image de mes improvisations, je fonctionne souvent à l’instinct, j’apprécie le plaisir de la surprise et d’une découverte inattendue. J’ai envie de lire un ouvrage dont j’ai entendu parler dans une chronique ou totalement par hasard lorsque je suis dans une librairie. Je peux aussi choisir des lectures en lien avec des projets que je souhaite illustrer. C’est assez éclectique.

Quel est ton 1er souvenir de lecture et ton dernier coup de cœur littéraire ?

Mon premier souvenir remonte aux toutes premières lectures chez ma grand-mère. Je passais mon temps à relire les albums de Sylvain et Sylvette de ma mère, ainsi que les albums de Perlin et Pinpin. J’adorais les dessins. Je les ai conservés d’ailleurs. Plus tard j’ai gardé ce goût pour les BD et, comme beaucoup d’enfants je reproduisais les planches des Schtroumpfs ou de Gaston Lagaffe. J’étais fasciné par la vie qui se dégageait des dessins de Franquin. J’avais toujours le même plaisir à relire les gags de Bravo les brother’s, des singes échappés d’un cirque semant la zizanie dans la rédaction de Spirou.  Le goût véritablement de la lecture fut plus tardif. J’ai découvert notamment Jules Verne. Les aventures et l’imaginaire semblaient sans limites. Mon dernier coup de cœur littéraire fut celui de « Être un chêne » de Laurent Tillon. Un peu comme le livre de Geoffroy Delorme avec « L’homme-chevreuil », je trouve fascinant le rapport de ces auteurs à la nature, moi qui en suis si éloigné en tant que citadin. Cela éveille à la fois mon imaginaire et un profond respect pour la Nature.

As-tu le souvenir d'une illustration ou de ce qui t'a donné envie d'être illustrateur, et quel est ton dernier coup de cœur graphique ?

J’ai toujours été fasciné par le dessin depuis mon plus jeune âge. C’est à l’adolescence que j’ai vraiment commencé à découvrir et à me plonger dans l’univers graphique de grands auteurs. La liste est très longue : de Jean Giraud /Moebius, à Enki Bilal, Mattoti, Frédéric Pillot dont j’avais repéré les premiers albums, Rebecca Dautremer ou encore Éric Puybaret qui m’a toujours captivé par sa poésie et son sens de l’espace aérien. J’ai toujours été un « boulimique graphique », toujours curieux à découvrir de nouveaux univers. Mais si je ne devais retenir qu’un nom ce serait sans hésitation celui de Sempé. Le Maître de la litote graphique. Avec des moyens réduits à quelques traits, quelques touches d’aquarelle, il exprime une palette d’émotions infinies.

Quel est le plus beau compliment qu'on t'ait fait sur ton travail ?

Ce qui m’a beaucoup touché c’était à l’époque de la disparition de Juliette Greco. J’avais fait une improvisation qui lui rendait hommage que j’avais diffusée sur ma page Facebook. Je ne sais pas par quelle magie, l’illustration est arrivée jusqu’à sa petite fille qui m’a laissé un commentaire en me disant que sa grand-mère aurait sans doute apprécié ce dessin et qu’elle aurait été très touchée.

Les réseaux m’ont ainsi fait de belles surprises. Ce fût encore le cas avec le chanteur Tété. J’avais illustré une de ses chansons. Il m’a contacté pour me dire qu’il appréciait. C’est aussi la magie de notre époque.

Quelle est la chose la plus bizarre, ou la plus drôle qu'on t'a dite ou demandée ?

Je n’ai pas d’anecdotes qui me reviennent en tête spontanément. Ce qui m’a surpris c’était surtout lorsque je débutais, on me demandait de copier le style d’autres illustrateurs. Il y a des modes dans le monde graphique certains deviennent en vogue. Travaillant dans la communication à l’époque, ce type de demande pouvait revenir et que je déclinais.

Si tu avais la possibilité d'inviter un(e) illustrateur/illustratrice, dessinateur/dessinatrice disparu(e) pour une soirée , qui choisirais-tu et pourquoi ?

Comme je le citais plus haut, je dirai Sempé et j’ajouterais Jean Giraud, Franquin, Gustave Doré, Miroslav Šašek, Cassandre pour la magie de ses affiches. Mes sujets d’études portaient d’ailleurs sur tout ce qui touchait le monde de l’affiche (il n’y a pas de hasard..). Tous ont un univers graphique très marqué mais aussi une imagination sans limite où tout semble possible. C’est ce que je pense d’ailleurs, en illustration tout est envisageable, il faut juste trouver le bon angle d’attaque, la meilleure approche graphique et la bonne idée (c’est le côté affichiste).

Comment procèdes-tu pour tes créations ? Les techniques sont-elles différentes entre ce que tu fais pour les éditions papier et ce que tu nous montres sur les réseaux sociaux ?

Qu’il s’agisse de mes commandes ou de mes créations plus personnelles, je recours toujours à un support numérique, le logiciel que j’utilise est Photoshop. Je varie les techniques selon les projets que j’aborde, je varie aussi les styles selon le projet proposé. On ne peut pas illustrer de la même manière un album consacré au Père Noël pour des enfants de 5 ans, une collection avec un univers bien défini ou un documentaire consacré à un sujet historique. Avec les années j’ai développé une approche qui ne soit pas « froide ». Ce choix du numérique s’est aussi imposé par les contraintes de temps. Les projets se font majoritairement sur un temps assez court. D’autre part, s’il faut apporter des corrections, il est plus simple d’envisager une technique numérique  qu’une technique traditionnelle où il faudrait tout refaire.

Ce que je présente sur les réseaux est très différent de mon travail de commande. C’est même l’opposé car je travaille sans contraintes directes. Je privilégie la spontanéité. Ce sont mes bouffées de liberté entre les commandes. Je me donne une idée, un sujet d’actualité qui a retenu mon attention, une chanson que j’ai entendue et je pars en improvisation sans savoir au départ ce que cella donnera. J’arrête dès que j’ai atteint un point d’équilibre avec mon intention de départ. Pas de détails superflus, j’arrête lorsque l’équilibre me semble posé. Cela se fait sur des temps aussi assez courts (une ou deux heures). J’apprécie le fait que tout évolue à la seconde. Je peux transformer l’image totalement à mi-parcours pour repartir sur une autre association de couleurs etc. Afin de ne pas revenir dessus je poste assez rapidement encore mon illustration afin de ne pas y revenir. Ma principale motivation est alors de partager mon illustration en lien avec une émotion collective ou une actualité.

Les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont été un grand moment de création de ta part et d'enthousiasme de tes fans. Cela a-t-il changé quelque chose pour toi, y a-t-il eu un avant et un après ?

Oui cette mise en lumière durant ces Jo 2024 a été très inattendue. Au départ je souhaitais voir comment je pouvais graphiquement retranscrire un moment vécu collectivement par des millions de personnes. Nous avions regardé dans la même direction, qu’allions-nous en retenir ? Je ne pensais pas que mon illustration allait faire ensuite le tour des réseaux et franchisse même les frontières. Au tout départ je savais que j’allais illustrer les Jeux Paralympiques mais je ne pensais pas faire toute une série sur les JO. C’est venu à la suite de la première illustration, je me suis laissé porter par l’énergie de ce moment collectif. Les idées me venaient très spontanément en tête. Toutes les illustrations sont encore apparues très rapidement comme autant d’improvisations graphiques.

Ce que cela m’a apporté c’est surtout un regard différent sur mon travail plus personnel et détaché de commandes. Je peux proposer des créations plus « libres ». L’autre chose très importante a été ma rencontre avec l’éditeur PapaPaper qui m’a permis de concrétiser et de publier ces improvisations. Mes illustrations sont aujourd’hui proposées sur le site PapaPaper, parmi de magnifiques artistes. C’est une chance et la possibilité d’une toute nouvelle aventure.

Comme je l’indiquais je suis plus connu en éditions jeunesse pour des projets de commandes. Ici c’est un tout autre univers, nettement plus personnel. Je suis très touché par toutes les personnes qui témoignent leurs soutiens et leurs réactions. Une nouvelle perspective a vu le jour, c’est ce que je compte bien développer sur les années à venir en parallèle de mes autres parutions.

Tu peux ici nous parler de ce que tu souhaites.. un message, une envie, un projet qui te tient à cœur. C'est à toi !

Ce que je souhaite c’est de pouvoir continuer mon parcours. Mon souhait au tout début était de pouvoir tenir 5 ans, puis 10 ans, 15 ans... Aujourd’hui j’ai réussi à continuer mon métier d’illustrateur depuis plus e 20 ans. Alors je souhaite et j’espère pouvoir poursuivre ce pari. C’est une profession passionnante pleine de vicissitudes avec comme moteur la création. Je rêvais de l’exercer petit mais à l’âge adulte cela semblait plus inaccessible. Je suis un illustrateur autodidacte, mes études étaient plus orientées sur l’histoire de l’art. Je retiens qu’il ne faut jamais lâcher l’affaire. Aujourd’hui les réseaux sont très décriés, à juste titre au vu de nombre de débordements et d’outrances, mais ils peuvent apporter des choses très positives. Que ce soit mes rencontres artistiques via les réseaux à l’effervescence que j’ai pu connaître durant les JO, notre époque propose aussi de magnifiques rebondissements. Donc je finirai sur cette note d’énergie positive et créative.

À l’image de mes improvisations, je ne sais pas ce que je développerai encore en 2025. C’est ce que je trouve à la fois formidable et enthousiasmant. Un pied au sol avec de beaux projets éditoriaux qui vont voir le jour et un pied dans le vide avec de nouvelles créations et des projets personnels que je ne connais pas encore.

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A retrouver sur le blog :

Le paresseux aux jeux du zoo 

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