Là où le bonheur se respire, Sophie Tal Men : MGBooks

Là où le bonheur se respire, Sophie TalMen

Éditeur : Albin Michel (3 mars 2021)

Broché : 288 pages

Sophie TalMen nous livre un roman qui ravit nos sens. Empli de l'air iodé du large, des senteurs de l'île d'Ouessant, c'est une ode à la vie.

De quoi ça parle ? Lily fait des études pour devenir nez, ou tout du moins travailler dans le domaine du parfum. Elle a toujours été attirée par les odeurs et senteurs, éléments fédérateurs et fondateurs de son existence tant ils construisent, éveillent et guident dans nos choix de vie. Elle est un véritable oiseau migrateur, ne se fixant jamais, parcourant le monde à la recherche de nouvelles fragrances. Mais quand sa petite soeur Clarisse, restée vivre avec leur mère sur l'île de Ouessant fait une mauvaise chute de cheval et se retrouve hospitalisée, Lily décide de rentrer au port et de faire tout ce qui est en son pouvoir pour lui redonner le goût de vivre.

Lily échafaude un projet qui peut sembler fou, surtout du point de vue médical. Qui pourrait en effet adhérer à son idée de stimulation des sens de sa soeur par le biais de toutes les senteurs qui lui sont familières et que Lily s'est mise en tête d'emprisonner dans de petits flacons. Elle va recenser une multitude d'effluves liées au quotidien de Clarisse et emmagasiner ce qui est cher à sa soeur sous forme de senteurs telles que celles de sa maison, de l'écurie où vit son cheval Sambello, du varech en train de sécher sur le sable, de l'air iodé de Ouessant.. On comprend très vite que Lily cherche en cela à reprendre la main, à ne pas laisser la fatalité s'abattre sur sa famille. Mais peut ont synthétiser une existence dans de petits flacons ? Une personne peut-elle se résumer à des fragrances ? En partie oui. Mais des facteurs déterminants comme la famille, les racines, l'endroit d'où on vient. C'est tout cela qui construit un individu.

Secondée dans sa folle entreprise par Evann, externe en médecine (service de neurologie) dans l'hôpital où est soigné Clarisse, Lily va rapidement comprendre qu'on ne doit pas changer les gens que l'on aime pour les façonner à son image. Elle va réaliser que son amour sororal est parfois étouffant pour Clarisse et qu'elle doit lui faire confiance en la laissant voler de ses propres ailes. Evann et Lily, deux âmes blessées, chahutées par la vie, vont se rendre compte que prendre soin des autres c'est avant tout prendre soin de soi. Et c'est à deux, en cheminant, en se confiant, qu'ils vont prendre conscience de leurs failles et leurs blessures, pour mieux se poser et panser leurs plaies.

L'auteure nous transporte d'un bar à parfums à Bruxelles, à Brest, en passant par Ouessant. Elle nous emporte dans un monde virevoltant de senteurs et de sensations. Elle nous ravit avec ses personnages dotés d'un caractère bien trempé et très déterminés dans leur quête. Ils sont également empreints d'une grande humanité mais également d'une fragilité sous-jacente. Que ce soit Lily, rebelle, qui ne semble pas tenir en place, voulant tout découvrir, faire et voir dans une boulimie de vie. Mais dont on comprend très vite que ce tourbillon occulte un manque de confiance en soi, de reconnaissance et un grand besoin d'amour. Ou bien Evann qui peine à s'émanciper de son frère Gabriel veillant sur lui comme le lait sur le feu et que son passé douloureux semble vriller au sol, l'empêchant de prendre son envol en tant que médecin.

Les personnages "secondaires" sont eux-aussi très soignés et ne manquent pas de piquant. Fanny, la mère de Clarisse et Lily qui exerce le métier, peu commun pour une femme, de plombier. Elle n'a pas sa langue dans sa poche et un caractère bien trempé qui mettra à mal le flegme d'Evann.

Nous retrouvons également avec beaucoup de plaisir des personnages liés aux opus précédents (Les yeux couleur de pluie, entre mes doigts coule le sable, De battre la chamade..), comme Yvonne, véritable mère poule, la tenancière du bar QG des médecins/étudiants. Mais aussi Marie Lou, Anna, Gabriel ou Matthieu qui sont ici comme autant de frères et soeurs bienveillants. Ils ont avancé dans la vie, se sont assagis et c'est à leur tour de veiller sur les petits nouveaux : Evann, Lily, et Clarisse.

L'auteure nous invite à nouveau dans son monde, celui de l'hôpital. Par le biais de Clarisse et la thérapie qu'elle y suit, nous découvrons le quotidien des patients, la bienveillance des médecins et du personnel soignant. Le milieu hospitalier à visage humain, loin du stéréotype d'un lieu aseptisé et froid.

Dans ce 6ème roman qui fait un bien fou, l'auteure de sa plume fluide et douce qui court sur le papier, nous propose de réfléchir sur ce qui compte pour nous dans la vie, à ne pas nous laisser rabaisser ou définir par le seul regard de l'autre. L'amour de ceux qui nous sont chers, la bienveillance, l'entre aide, et la concrétisation de ses passions. Tout cela constitue un très bel élixir dont on aimerait s'asperger, ainsi que son entourage pour ne prendre que le plus merveilleux, le plus lumineux, ce qui nous transcende et nous met des étoiles dans les yeux.

Interview à livre ouvert de Sophie Tal Men