115, Benoît Séverac : MGBooks
Ed. Pocket, 304 pages
Prix du Roman Noir des Bibliothèques du Grand Cognac
Prix du Roman Noir des Bibliothèques du Grand Cognac
Je suis dans le métro, ma station se rapproche à grand pas, je vois que le nombre de pages restantes ressemble à une peau de chagrin... je vais un peu en avant du livre en contrôlant vite fait l'épaisseur des pages restantes et en me disant, “ouf, non ça va, il reste encore quelques unes”... me voilà rassurée, je vais pouvoir faire encore durer le plaisir un petit peu… car comme pour "trafics" je n'ai pas envie de quitter l'univers du livre, je n'ai pas envie de laisser les personnages derrière moi. J'ai envie d'une dernière patrouille, d'un dernier tour dans le quartier, d'un verre en compagnie des personnages au café, ambiance "3eme mi-temps".. j'ai envie de les accompagner encore un peu. J’ai envie de savoir ce qu’ils vont devenir. J'ai bien envie aussi que les méchants paient à la fin, soient attrapés et soient punis.
J'ai pris mon temps pour découvrir le roman : malgré l'impatience, malgré la curiosité de connaitre la suite, contrairement à un autre roman de poche sur lequel je me serai jetée pour le dévorer.
J’avais hâte de retrouver Toulouse, son atmosphère, l'univers des romans de Benoît, de retrouver les personnages que j'avais laissés à la fin de trafics.
Je n'ai pas été déçue !!!!! L’attente en valait la peine.
Le livre est beau, révélateur de notre temps et société : il y est question du mélange des gens, d’ethnies, cultures, religions, de cette mixité qui fait peur à certains, et dont d'autres se servent pour tenter de faire se dresser des citoyens contre d'autres alors même qu'ils ne se connaissent pas. N’ayons pas peur de les citer, je parle d'un "certain" rassemblement... et de son fond de commerce.
Le style est toujours aussi prenant.. bon, pour juger, je n'ai derrière moi que "trafics" mais bon.. Style efficace, syntaxe épurée, pas de fioritures pour tenter d'augmenter de façon artificielle le nombre de pages du roman. Non là, dès les toutes premières pages on est en situation, dans l’action, dans l’atmosphère.
Nathalie est une femme, policière. Femme dans un monde à forte dominance masculine et qui plus est, exerçant une profession au sein de laquelle il n’est pas forcément facile de se faire accepter et respecter.
J'aime ce personnage, fort, droit dans ses bottes, devant tout de même surveiller chacun de ses faits et gestes pour ne pas se retrouver (de nouveau -cf traffics-) abandonnée ou trahie par ses pairs, car, ayant pris trop d'assurance, d'initiative, ou ayant empiété sur les plate-bandes de quelqu'un, ou tout simplement par le simple fait d’être une femme !
J'aime qu'elle reste comme elle est, suivant son instinct. Son couple est beau je trouve, lui, bien que débordé aussi par son travail, restant ancré dans la réalité, et eux deux, à leur façon, ne voulant pas se laisser prendre par le système, la routine, se laisser embourber par toute la fange à laquelle ils sont confrontés chaque jour et réussissant à surnager. Il n’y a pas de solution miracle, ils ne sont pas epargnés par les engueulades, les disputes, mais ils font de leur mieux, car ils s’aiment.
Oui le roman est certes noir. Le destin d'A est terrible et affreux et en même temps, nos journaux TV regorgent de ce type de faits divers sordides. Le destin des jeunes femmes prostitués est terrible : la prostitution, les macs, les mafias dominées par différentes ethnies. Ici ce sont les albanais, mais on sait très bien que cela pourrait être n’importe quelle autre nationalité. Encore une fois la motivation des hommes est l'argent - comment pourrions-nous être surpris ?
Le squat, ceux qui dorment dans la rue, un autiste depouillé par son tuteur, tout cela est dur, rend les gens amers, peu enclins à croire en un avenir meilleur, à un avenir radieux pour leurs enfants presents ou à venir.
Mais dans ce livre je vois le positif, l'espoir, le YIN dominant le YANG, la force tentant d’émerger et de prendre le dessus sur le côté obscur.
Sergine est un personnage haut en couleur, un Don Quichotte portant jupons, quelqu'un de fidèle à ses convictions, certes qui fonce avant de réflechir quelques fois, bille en tête, mais on appelle ça de l'impulsivité et quand on voit ce qui se passe dans le livre on se dit que sans ce trait de caractère les choses n'auraient pas bougé, et la solution n'aurait pas été trouvée. Elle est fantastique, car atypique, car fidèle à ses principes.
Et c'est elle qui amène l'espoir, le beau, le bon, la foi en l'avenir. De par son comportement à la clinique. Elle ne se contente pas d'eau tiède, elle a des idées novatrices. Son altruisme. D'autres diront que c'est parce qu'elle n'a pas de vie sociale ni d'amoureux. Mais quand on a cette foi en l'autre, en l'humain même si notre vie est bien remplie on trouvera toujours du temps pour l'autre.
Ce qu'elle a réussi à faire pour Samia est incroyable, c'est fantastique. Sergine est le ticket de sortie pour Samia qu’attendait, à l'opposé d'une voie toute tracée par les croyances, traditions familiales et ghettoisation de l'endroit d'où elle vient.
Et dans ce que fait Samia ressort ce positif. Samia est l'avenir, elle le représente, pour faire un pied de nez à tous les détracteurs, tous les "je sais tout", avides de clichés sur les cités et de l'idée préconçue que rien de bon n'en sortira jamais. Samia est le juste (logique) prolongement de Sergine.
Info bonus: Ce serait mieux pour vous, ami lecteur, de lire tout d'abord trafics et ensuite 115 mais ce n'est pas une obligation, car il ne s'agit pas d'une suite. En le faisant vous aurez le plaisir de connaître certains éléments et traits de caractère des personnages qui s'y retrouvent.
Ce post a été écrit “à chaud”, en 2017, juste après avoir terminé la lecture du roman. Une fois la dernière page tournée, le roman suscite des questions, fait réfléchir à beaucoup de choses, c’est en ça qu’il est fort et poignant. Les thèmes dépeints sont plus que jamais d'actualité. J’espère que d’autres lecteurs ressentiront la même chose car c’est cela qui amène à la réflexion, à l’échange et à aborder des thèmes dit “sensibles”..C’est tout ça qui peut aider à endiguer certains fléaux et à ce que les gens changent leur façon de voir la précarité, et aient envie de faire quelque chose pour aider (associations etc).
C'est donc en toute logique pour moi qu'en 2019, j'ai demandé à Benoît Séverac, forte de mes autres lectures de ses romans (adulte et jeunesse) et aimant son univers, s'il acceptait d'être le parrain de cette nouvelle aventure littéraire qu'est pour moi ce blog. Merci Benoît pour ta confiance.
A lire sur le blog :
- Tuer le fils, MGBooks ; Tuer le fils, YvonS
- Trafics, YvonS
- 4 questions posées à Benoît, Éditions Syros
- Le jour où mon père a disparu, YvonS et MGBooks
- Rendez-vous au 10 avril, YvonS
- Auteur à la page # 3
- Skiatook lake (co-ecrit avec Hervé Jubert), MGBooks
Je découvre cette chronique à l'instant (en décembre 2019, donc), sa première parution m'ayant échappé... Et j'en reste scotché, abasourdi. Quelle plume ! Quel souffle ! Un immense merci à toi, Marina, pour cette chronique, mais surtout pour ta confiance. Je ne suis pas peu fier que tu m'aies proposé de parrainer ce blog dédié à notre passion commune, la littérature. Longue vie à MGBooks !
RépondreSupprimerMerci Marina, grâce à toi j'ai découvert son premier roman, et 115 m' attend dans ma PAL.
RépondreSupprimerMerci encore pour ton retour. Je tiens a préciser que tu as un bien beau parrain