Auteur à la page # 3, Benoît SÉVERAC

Benoît Séverac

Tu es notre invité pour « un auteur à la page », merci de t'être prêté au jeu des questions/réponses :

Tu écris du polar pour la jeunesse mais aussi du polar noir sociétal. Ton cœur penche-t-il plus d’un côté que de l'autre ?

J’écris du polar noir sociétal, qu’il soit pour les ados ou pour les adultes, ce sont toujours des romans noirs, souvent policiers mais pas toujours, sociétaux voire sociaux parfois, pour tel ou tel public, mais c’est toujours la même veine, la même sensibilité, les mêmes désirs de raconter quelque chose de ce que nous sommes, de la façon dont nous nous traitons, de la société dans laquelle nous évoluons, que nous avons créée. Donc, pour moi, aucune préférence. Je ne me pose pas ce genre de questions. Que l’on parle de littérature ado ou adulte, ce sont les mêmes processus de création qui sont à l’œuvre, les mêmes contraintes d’écriture, les mêmes questionnements, les mêmes difficultés. Par contre, je sais tout de suite si ce que j’ai à raconter sera adressé à des ados ou à des adultes. Je le détermine avant d’entamer le roman parce que cela conditionne des tas de choix narratifs… notamment celui des personnages.

Quel genre de lecteur es-tu ?

En retard. Je suis conscient, de façon permanente, de tout ce que je n’ai pas lu et qu’il faut absolument avoir lu. Sans compter tout ce que j’aimerais relire ! L’âge avançant, cela devient de plus en plus frustrant parce que je réalise que je n’arriverai pas à lire tout ce que je voudrais lire avant de mourir.


On entend souvent parler de « la famille polar » et des liens entre auteurs. Quel est l’auteur dont tu te sens le plus proche : au niveau humain et pour l’écriture ?


Il faut se méfier des familles. Ce sont les entités censées vous protéger, et c’est pourtant en leur sein que sont perpétrés les plus grands traumatismes. 

Blague à part. J’ai rencontré des amis très chers parmi les auteurs de polar, Français ou étrangers. Des gens de valeur, avec des qualités humaines extraordinaires. J’y ai aussi rencontré ma compagne, Maïté Bernard, et celui que j’ai élu comme mon frangin, Hervé Jubert

Tu es membre co-fondateur des Molars, qui est l’association internationale des motards du polar. Le monde des motards tient une part importante dans ton dernier roman « Tuer le fils ». Motard, une vraie philosophie de vie ?

Soyons clairs : Les Molars, c’est une galéjade. On se marre bien, on s’entend bien, mais on ne souhaite rien affirmer. Nous n’avons aucune valeur à défendre, nous ne considérons pas que le monde est coupé en deux avec d’un côté les motards et de l’autre les piétons, les automobilistes et les cyclistes. D’ailleurs, personnellement, je me méfie des clubs et des collectifs. La moto, j’en fais tous les jours, c’est ma passion, mais c’est une passion solitaire. Les bandes de loubards me font fantasmer, mais dès que je passe plus de deux heures en groupe, je m’ennuie et je fuis. Nous avons créé ce collectif (ce n’est pas une association à proprement parler) par pur esprit potache.

Cela dit, il y a effectivement un panel de personnages issus du monde de la moto dans mon roman Tuer le fils (éd. La Manufacture de Livres) mais le portrait que j’en brosse n’est pas tendre. Qui aime bien châtie bien.

L’importance de ta ville et tes racines dans ton écriture ?

Oui et non. Bien sûr, le choix de telle ou telle ville va déterminer l’ambiance d’un roman, va apporter quelque chose dans le récit. Indubitablement. Il se trouve que mes intrigues se déroulent très souvent à Toulouse ou dans la région toulousaine, mais tout simplement parce que c’est là que j’habite. Il n’y a pas de propos régionaliste, pas de revendication quelconque. Je ne fais que poser un décor. 

J’ai des racines occitanes fortes. J’en suis heureux, mais pas fier. Je ne vois pas pourquoi ni comment on peut tirer une fierté d’être né quelque part. En tout cas, cela ne m’empêche pas de m’intéresser aux racines des autres. La preuve, Tuer le fils se déroule dans les Yvelines.

Où aimerais-tu faire évoluer tes héros dans ton prochain roman ?

Dans mon roman en cours d’écriture, le héros habitera du côté de Saint-Etienne et va voyager hors d’Europe, et en Europe. Quelque chose que je n’ai jamais fait faire à aucun de mes personnages principaux.

Quel livre aurais-tu aimé avoir écrit ? 

La bible. Quel best-seller !

Quand on voit ton parcours, on se demande si l’écriture a été comme une évidence? ou plutôt un cheminement ?

Une évidence qui a nécessité un long cheminement pour s’affirmer. Dit autrement, j’ai mis longtemps à i) l’identifier ii) la comprendre iii) la prendre au sérieux iv) l’assumer (je veux dire par là qu’il m’a fallu plusieurs romans pour me sentir légitime dans le rôle d’écrivain)

Quel est ton 1er souvenir de lecture ?

L’appel de la forêt de Jack London. J’avais 8 ans, j’ai pris une grande claque. Je l’ai relu souvent, à tous âges. J’ai compris bien plus tard pourquoi j’avais pris une telle claque. Et j’ai compris récemment qu’il y avait tout ce que j’aime lire et écrire dans ce roman : l’aventure, la noblesse des sentiments, la lutte de l’Homme contre la nature, de l’Homme contre l’Homme, la transgression, la loyauté, la trahison, le tiraillement entre société et instinct… Ce roman m’a beaucoup influencé.

Quel est le livre sur ta table de nuit en ce moment ?

Pays sans chapeau de Dany Laferrière. J’aimerais arriver à écrire aussi simplement et profondément sur mon pays.

As-tu un livre qui ne quitte jamais ta table de nuit ?

Un dictionnaire.

Quel type de roman n’arrives-tu pas à lire ?

SF, fantaisie, feel-good, romance, thrillers… Tout ce qui n’est pas réaliste me tombe des mains.

Lecture dans un canapé ou sous un arbre ou… ?

Au lit, pas loin du dictionnaire. 

Le plus beau compliment qu'on t'ait fait sur tes romans/toi en tant qu'écrivain ?

Un élève de 4° lors d’une intervention scolaire : « Je n’aime pas lire, je n’avais jamais lu un seul bouquin de ma vie, mais le vôtre je l’ai dévoré. Depuis, j’ai lu tous les autres. » Je lui ai répondu qu’il fallait qu’il change d’avis sur lui-même, parce  qu’il aimait lire, c’était évident, et qu’il parle à sa/son documentaliste, ou libraire ou bibliothécaire pour qu’il/elle le guide vers d’autres romans, dans la même veine que les miens pour commencer.

Tu es prof d'anglais. Ta fréquentation du monde des étudiants est-elle source d'inspiration ? Ou sépares-tu complètement ces deux activités ?

Je m’inspire de tout, tout le temps. Donc, nécessairement, mon activité d’enseignant m’a beaucoup apporté. On brasse de l’humain, quand on enseigne, des tas de gens de milieux différents, avec des vécus très différents, des situations économiques, émotionnelles, familiales très variables… Si on est un tant soit peu observateur et empathique, on se nourrit de toutes ces rencontres. D’ailleurs, j’enseigne à l’école vétérinaire de Toulouse, et ce n’est pour rien que trois de mes romans (RDV au 10 avril ; Trafics ; 115, tous disponibles chez Pocket) se déroulent dans ce milieu ou mettent en scène des vétérinaires.
J’entends parfois des gens qui travaillent dans l’industrie ou le commerce dire que les enseignants ne sont pas en prise avec les réalités économiques de la société ; je pense que c’est faux. Il y a peu de métiers qui vous confrontent avec autant de catégories socio-professionnelles différentes, alors que les cadres qui portent ce jugement, eux, n’évoluent que dans leur milieu.

Veux-tu nous parler de ton grand voyage et ton aventure aux États-Unis ?

Tu fais référence aux trois semaines qu’Hervé Jubert et moi avons passées en 2018 en Oklahoma dans une réserve indienne Osage, reçus par les Indiens chez eux. Plutôt que des longs discours, je vous invite à lire le fruit de cette aventure littéraire unique, Skiatook Lake, un western noir qui sortira en mars ou avril 2021 aux éditions Le Passage

Veux-tu nous présenter tes deux derniers romans, celui en jeunesse et celui en polar adulte ?

Tuer le fils (La Manufacture de Livres) est un roman noir et un polar adulte. J’ai vraiment renoué avec le roman d’enquête, même si les aspects psychologiques et relationnels dominent. Matthieu Fabas a tué parce qu’il voulait prouver qu’il était un homme. Un meurtre inutile, juste pour que son père arrête de le traiter comme un moins que rien. Verdict, 15 ans de prison. Le lendemain de sa libération, c’est le père de Matthieu qui est assassiné et le coupable semble tout désigné. Mais pour le trio d’inspecteurs que je mets en scène (qui appartiennent à la brigade criminelle du SRPJ de Versailles), cela ne colle pas. Ils vont devoir se plonger dans les relations terribles entre Fabas père et fils pour démêler les fils de cette affaire.

Derrière l’intrigue policière, il est surtout question des non-dits qui unissent un père et un fils cherchant tous deux à savoir ce que c’est qu’être un homme.


Le jour où mon père a disparu (éd. Syros) est un roman d’aventure (presque) noir, et pas du tout policier, à lire à partir de 13 ans à peu près. Il s’agit d’une quête existentielle. Cela se passe pendant les vacances d’été… Un été fondateur comme on en a tous connu.

C’est l’histoire d’Étienne. Ses parents et lui ont toujours été considérés comme des parias dans leur village. Étienne n’a jamais pu participer aux matchs de foot, aux fêtes, avoir une bande de copains… Le plus difficile pour lui, c’est de ne pas connaître les raisons de cette mise à l’écart. Bien sûr, il sait que ses parents ont milité au sein du Front de libération occitan, mais ils ont toujours défendu la tolérance et l’ouverture d’esprit. Le jour où son père disparaît, Étienne n’a plus d’autre choix que de partir en quête de la vérité.

Quel ado-lecteur étais-tu ? Dilettante ou dévoreur ?  Obsédé un style de roman ou papillon découvrant la variété des genres ? 

Ado, je ne lisais RIEN ! Je ne m’intéressais qu’au rock, aux filles, aux bécanes et aux copains. J’ai passé un temps considérable à faire le con, d’où le retard de lecture que j’évoquais plus haut. Depuis, je rame pour le combler.

Tu as reçu de nombreux prix pour tes romans : quel est celui dont tu es le plus fier ?

Tous les prix que j’ai reçus m’ont beaucoup ému. La plupart sont des prix de lecteurs. C’est très rassurant (on doute beaucoup quand un roman paraît), ça conforte dans l’idée qu’on est dans le vrai parce qu’on a réussi à susciter des émotions chez les lecteurs, à entrer en vibration avec eux. C’est un énorme cadeau. C’est un coup de fouet pour repartir de plus belle.


Le confinement a-t-il été un moment propice à l’inspiration ?

Inspiration, non, parce que je ne me suis plus intéressé au monde. Mais j’ai retrouvé un rapport au temps que j’avais perdu de vue depuis des décennies. Je n’ai pas écrit plus que d’habitude, mais j’ai écrit quand je voulais, pas quand je pouvais. J’ai lu et rêvassé beaucoup plus qu’à l’accoutumée, et me suis rendu compte à quel point cela me manquait. 

Le confinement a ressemblé aux retraites que je fais chaque été pour écrire, sauf qu’elles durent en général 15 jours et se déroulent au cœur d’une société qui continue, elle, à bouillonner, alors que là, ça a duré 2 mois et tout, autour de moi, était à l’arrêt.  

As-tu un nouveau projet de roman ? Si oui, veux-tu nous en dire un peu plus ?

Rien de plus que ce que j’ai déjà dit plus haut, ce qui revient à pas grand-chose, j’avoue, mais c’est encore prématuré. Je n’aime pas trop parler de projets qui ne sont pas encore écrits.


Merci cher Benoît pour ton temps et ta réactivité à nos questions. Nous te souhaitons bon surf sur ta vague d'inspiration jusqu'au résultat final et te disons à très bientôt.






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