Portrait d’auteur #54, Laurent Cappe, juillet 2025

Je suis comédien et metteur en scène de théâtre. Je co-dirige le Rollmops Théâtre à Boulogne sur mer, un lieu que nous avons créé dans une friche en bordure de centre-ville, et qui est devenu une institution locale et régionale. J’ai rencontré le théâtre par hasard, j’avais une vingtaine d’années, et ce fut le coup de foudre. J’avais une forte appétence pour les mots depuis ma plus tendre enfance, le théâtre fut comme une évidence. J’ai appris sur le tas, avec un groupe d’amis, puis l’aventure s’est structurée jusqu’à l’ouverture en 1995, avec Laurence (avec qui je co-dirige le Rollmops), de ce lieu. Ce long parcours théâtral qui m’a conduit du burlesque au théâtre contemporain, en passant par les grands classiques, les écritures collectives, m’a amené peu à peu à l’écriture.
Quel genre de lecteur es-tu ?
Compulsif ! J’ai lu de tout, à tout âge, depuis Pif gadget jusqu'à Marcel Proust. J’ai toujours au moins deux livres en cours. Un roman pour le soir, et un livre d’histoire ou une biographie pour la journée. Plus le reste… la fiction reste ma passion première. Je lis des auteurs de toutes origines. J’ai une prédilection pour la littérature étrangère contemporaine et celle du XIXème. Les anglo-saxons, les japonais, les scandinaves, les auteurs de l’Est, d’Amérique du Sud. Je suis moins friand de la littérature française d’aujourd’hui même si je suis un grand fan de Sylvain Tesson, de Sorj Chalandon par exemple. Je suis curieux de découvrir sans cesse de nouveaux auteurs, mais j’aime revenir régulièrement à mes auteurs de prédilection et notamment à la littérature du XIXème siècle et de la première partie du XXème (Français, russes, anglais..). Parfois, il m’arrive de me plonger aussi dans un bon polar, entre deux, pour le plaisir.
As-tu des rituels d'écriture ? Lieux, heures, environnement musical, etc...
Je suis terriblement ritualisé, presque obsessionnel. Mais ces rituels, ces habitudes changent, varient. A chaque livre correspondent des heures, des moments et surtout des musiques. Quand l’écriture s’enclenche, j’ai besoin de me retrouver le lendemain dans la même ambiance, et à peu près sur la même plage horaire, bien que je parvienne à casser de plus en plus ce problème de l’heure. Par contre, pour la musique, c’est autre chose… J’écris en écoutant de la musique au casque. A chaque livre correspond un album ou artiste… et je les écoute en boucle. Les musiques, les chants imprègnent mon écriture, lui donnent un rythme. Ou peut-être est-ce le contraire : l’écriture trouve la musique qui lui convient (atmosphère, rythme), et ne la quitte plus. Pour May, par exemple, j’ai écouté en boucle l’album de Nick Cave « Ghosteen ». Jusqu’à l’indigestion. Pour moi, certains passages de ce livre sont définitivement corrélés à des chansons de cet album…
Quel est ton 1er souvenir de lecture et ton dernier coup de cœur littéraire ?
Mon premier souvenir marquant c’est « L’île au trésor » de Stevenson qui m’a procuré d’immenses émotions d’enfant, ouvert les portes de l’imaginaire et donné conscience de l’infini pouvoir des mots et des histoires. Mon dernier grand coup de cœur, c’est « Vie et destin » de Vassili Grossman, le deuxième volet d’une œuvre magistrale sur Stalingrad, censuré au début des années 60 en URSS et paru seulement en 1980 en Occident. Epoustouflant, et d’une force incroyable.
Qui est ton premier lecteur/ta première lectrice ?
C’est Laurence, qui est non seulement mon épouse, mais aussi ma collègue de travail depuis plus de trente ans… Elle est donc une lectrice éclairée et surtout capable de me dire les choses. Pas seulement quand c’est bien, mais surtout quand c’est mauvais.
Comment a germé ton idée pour "Quelques échos du chaos" ton nouveau livre ?
L’idée d’un recueil de nouvelles a germé peu à peu. J’avais écrit, il y a deux ans, une nouvelle sur le thème de la guerre pour un projet qui n’a pas abouti. Après le décès prématuré et brutal de mon ordinateur portable, je m’en suis souvenu, j’ai contacté le porteur du projet pour la récupérer. J’ai aimé ce que j’ai relu, l’ai fait lire à quelques personnes qui l’ont aimée également et m’ont demandé si j’en avais d’autres. Je n’en avais pas, mais j’avais jeté sur le papier quelques pistes d’histoires possibles. Elles m’intéressaient, mais pas assez pour en faire un roman. Par contre, des nouvelles… je me suis donc attelé à l’écriture et me suis vite rendu compte que chacune de ces nouvelles était comme un écho d’éléments que j’avais introduit sans les expliciter dans la pièce « Le Palier », que j’avais écrite auparavant, et qui se joue toujours actuellement. C’est une uchronie, une comédie dramatique se déroulant en huis clos sur le palier d’un immeuble, dans un monde dont le spectateur ne sait rien sauf qu’il n’est pas celui que nous connaissons. Le monde a basculé, mais on ne sait pas précisément quand ni comment. Or, chacune de mes nouvelles, ou presque, développait un de ces évènements suggérés dans la pièce : guerre, catastrophe, révolution… Ce sont les peurs qui planent sur notre époque que j’avais envie d’évoquer à travers ces nouvelles, et aussi les menaces qui pèsent sur nos vies, quotidiennement. Avec l’espoir, toujours qui cherche un chemin. L’une des nouvelles (Le Chat) est d’ailleurs inspiré par une lettre de spectatrice reçue lors d’une série de représentations. La boucle est bouclée !
Tu es aussi éditeur. Qu'est-ce qui est apparu en premier l'auteur ou l'éditeur ? Et pourquoi cette double casquette ?
L’auteur. L’idée de l’édition est venue progressivement. Nous avions créé cette micro entreprise pour éditer mes textes. Je n’avais pas envie d’attendre des années pour trouver un éditeur. Je n’ai plus le temps pour cela. Nous avons donc appris « sur le tas » et découvert les rouages de l’univers du livre. Nous avions du temps disponible, c’était la période du Covid, notre métier était à l’arrêt. Et cela nous a tout de suite passionnés. Nous avons alors imaginé une reconversion possible, à terme. Nous sommes infiniment plus près de la fin de notre carrière théâtrale que du début ! Puis, les choses se sont précipitées. Nous avons reçu pour avis le manuscrit d’un auteur que nous connaissions bien, nous l’avons beaucoup aimé. Nous lui avons alors proposé de l’éditer. C’était une vraie aventure partagée ! Son premier roman, notre première édition. Et nous avons adoré faire cela. Depuis, tout s’accélère, ce que nous n’avions pas prévu initialement. Mais c’est tant mieux.
On te connaît depuis peu mais on a eu un coup de foudre littéraire. Fréquentes-tu les salons pour les dédicaces à la rencontre de tes lecteurs ?
Bien sûr. Je participe régulièrement à des salons du livre ou des dédicaces en librairie dans la région. La maison d’édition sera présente aussi dans les grands évènements comme le salon du Touquet ou de Bondues. Mes rendez-vous sont consultables sur le site des Editions Vendeurs de Mots. On peut aussi se tenir informé en me suivant sur les réseaux sociaux.
Quelle est la chose la plus bizarre, ou la plus drôle qu'on t'a dite ou demandée lors d'une séance de dédicace ?
Je n’ai pas encore eu de demande saugrenue… Par contre, j’ai eu droit, comme beaucoup d’autres auteurs, au visiteur qui vous parle et vous fait parler pendant vingt minutes avant de conclure par un laconique : « De toute façon, moi je ne lis pas, j’aime pas ça… »
Ton roman "Ours" nous a profondément touchés. Comment est née cette histoire d'amour incroyable, sans divulgâcher évidemment le mystère de ce livre?
J’avais envie de parler de l’amour qui dure. Longtemps et passionnément. De ce qu’il est nécessaire d’entreprendre pour le préserver, le faire fleurir. Et je ne parle pas de sacrifices, je parlerais plutôt de progrès à accomplir. Je voulais parler aussi de transmission, de ce que l’on peut léguer de nos histoires et de nos âmes à ceux qui nous suivent.
De l’absence inéluctable, aussi. C’est le point de départ d’ailleurs : l’absence de l’autre et le vide sidéral qui l’accompagne.
C’est mon roman le plus personnel. Celui qui contient le plus de petits morceaux de moi, de nous, éparpillés à travers tous les personnages. C’est un peu un kaléidoscope, dont les fragments disparates sont autant de morceaux de vie réelle qui, en s’agençant différemment, composerait une nouvelle histoire fictive, et pourtant très réelle.
Tu peux ici nous parler de ce que tu souhaites... un message, une envie, un projet qui te tient à cœur. C'est à toi !
La paix dans le monde ? Non... je blague. J’ai toujours débordé. Le problème ou l’avantage, avec l’âge qui avance toujours plus vite, c’est qu’il vous oblige à mieux les choisir, parce que le temps vous manque !
J’espère écrire encore longtemps, lire encore longtemps et m’émerveiller toujours en tombant sur un livre, un chapitre, une ligne qui me bouleverse et m’éclaire la vie sous un nouvel angle.
J’aimerais écrire un jour un livre dont je saurais n’avoir pas une ligne à retoucher, mais le principe même de la création c’est d’être éternellement insatisfait, et de recommencer pour tenter de faire mieux la fois suivante. C’est un fascinant puits sans fond, ou plutôt une échelle qui se perd dans les nuages !
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