Portrait d'auteur #52, Michaël Mention : mai 2025
1/ Peux-tu te présenter à ceux de nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore ?
Je suis mélomane et cinéphile, j’aime l’humour con et les pâtes carbonara, je déteste l’arrivisme et l’imposture (oui, ça concerne beaucoup de gens, et pas uniquement dans le milieu littéraire), j’aurai 50 balais dans cinq ans et je n’en reviens toujours pas. Sans doute parce que la culture qui m’accompagnait quand j’étais ado reste présente au quotidien, de Nirvana à Gaston Lagaffe, des Who à McTiernan. Mais je préfère de loin le Michaël d’aujourd’hui à celui que j’étais il y a quinze ans : j’ai un rapport à la vie beaucoup plus simple, moins torturé (pour la noirceur, j’essaie de la réserver à mes bouquins).
2/ Quel genre de lecteur es-tu ?
Un lecteur qui court après le temps. Quand tu bosses à temps plein, que tu as un gamin, que tu es en couple, que tu te documentes beaucoup pour ton roman en cours, ça laisse peu de temps pour lire… mais l’aspect positif, c’est que je ne perds pas de temps avec des bouquins en demi-teinte. L’année dernière, j’ai enchaîné des romans de Pierre Pouchairet, Sébastien Vidal, Armelle Carbonel, Jérémy Bouquin, SimonFrançois, Patricia Delahaie, Christophe Dubourg, Jérémy Fel, Nicolas Nutten ou encore Audrey Brière (j’en oublie), tous de très bons récits aux écritures incarnées, des personnages bien construits et des sujets traités avec finesse. On nous présente souvent la notion de contrainte comme négative mais, depuis une dizaine d’années, j’en ai fait un atout : d’une part dans l’écriture car une contrainte m’oblige à la contourner et donc à me renouveler, et d’autre part dans le manque de temps car ça m’oblige à mieux cibler mes lectures. Avoir peu de temps me conduit à aller à l’essentiel, et vu que je suis bien conseillé en romans, je ne suis jamais déçu. Dernier exemple en date : je suis en train de lire Antoine un fils aimant de Sandrine Cohen, publié récemment chez Belfond noir, et j’aime beaucoup. Là encore, il y a une écriture, une certaine manière de raconter une histoire « à hauteur d’humain ».
3/ Quel est ton 1er souvenir de lecture et ton dernier coup de cœur littéraire ?
Mon premier souvenir de lecture est Danse Macabre, un recueil de nouvelles de Stephen King. Je ne sais plus comment il est arrivé dans mes mains, j’avais 12 ans et ça a totalement changé mon rapport à la vie. Je ne l’ai pas relu depuis mais, plus de trente après, j’ai encore en mémoire certaines phrases de nouvelles comme Désintox Inc., Matière grise ou encore La corniche. Grâce à ce recueil, j’ai découvert « le genre », toute une culture avec une certaine vision de l’humanité et ses faiblesses. Puis, il y a eu Christine, lu dans la foulée. Je m’en souviens très bien, c’était l’été 92 et j’étais en colo : dès qu’on avait « quartier libre », je m’empressais de reprendre le bouquin (à l’abri des regards car j’avais peur qu’on se moque de moi). J’étais à la fois captivé par le récit et bouleversé par l’effritement de l’amitié entre Arnie et Dennis, j’ai zappé la boum du dernier soir, le seul moment de la colo où j’aurais pu danser un slow avec une fille, c’est dire si j’étais à fond dans la lecture ! Bref, King est un conteur exceptionnel doté d’une écriture extrêmement précise et bourrée d’humanité. C’est sans doute grâce à lui que j’ai découvert l’attachement littéraire aux petits détails du quotidien, ces détails en apparence anodins qui font les portraits psychologiques. Et c’est aussi grâce à lui que j’ai découvert le mélange des genres et sa richesse. Quant à mon dernier coup de cœur littéraire, c’est Lapouponnière d’Himmler de Caroline De Mulder. Un grand livre sur un sujet fort.
4/ Quel est ton premier lecteur ou ta première lectrice ?
Ma compagne, une lectrice exigeante qui ne m’épargne pas si elle n’aime pas tel ou tel truc. Parfois, je partage aussi certains de mes paragraphes avec ma fille, si mes moments d’action ne sont pas violents. Pour Qu’un sang impur, c’était même devenu un jeu entre nous (« Alors papa, qui va mourir aujourd’hui ? ») En général, j’envoie mon roman par tranche de quarante pages à mon éditrice Carine Verschaeve, ce qui nous permet d’avancer au même rythme, de nous assurer que je suis toujours sur « les rails ». J’aime l’idée d’être accompagné dans l’écriture, d’être recadré aussi même si c’est parfois douloureux car écrire c’est faire plaisir et que l’on n’aime pas décevoir.
5/ As-tu un rituel d'écriture ?
Pour écrire, il me faut du café et de la musique (oui, finie la clope, et j’en suis le premier surpris). J’alterne entre moments d’écritures en terrasse et chez moi, pour mieux peaufiner les chapitres. En extérieur, j’aime quand la terrasse est bondée, que ça jacte tout autour, j’aime observer et sentir tout ce bruit alors que j’écoute la musique au casque. C’est dans ces moments-là que je laisse mon esprit divaguer, souvent quand je ne sais pas débuter un chapitre. Si tu savais le nombre de passages que j’ai débloqué en étant simplement posé en terrasse, le nombre d’idées ou de tournures de phrases… en fait, j’écris quand j’ai du temps, ce qui m’oblige à bien cibler les lieux en fonction de ce que j’ai à écrire. Comme tu le vois, la question du temps est centrale dans ma vie et conditionne beaucoup de choses, à commencer par mon rythme d’écriture. Mon pote Yvan Fauth dit que je suis « un romancier de l’urgence », ce qui définit assez bien mon écriture et la personne que je suis.
6/ Quel est le plus beau compliment que l'on t’ait fait sur un de tes romans ?
« En général, je ne lis pas de fantastique, et pourtant, j’ai beaucoup aimé votre roman car en fait il parle d’autres chose ». Cette phrase, je l’entends beaucoup depuis la parution de Qu’un sang impur et ça me touche énormément car j’ai à cœur, depuis mon premier roman, d’atteindre le lecteur qui est « tout au fond de la pièce », celui qui n’irait pas vers mes bouquins. Quand t’écris Power, tu sais que les fans de thrillers politiques vont le lire. Pareil pour Jeudi noir et ceux qui aiment le foot, pour Dehors les chiens et ceux qui aiment le western… mais réussir à « hameçonner » un autre type de lecteur de prime abord plus réfractaire, c’est une sorte d’accomplissement personnel. Sans doute aussi parce que ça me renvoie à mes propres à priori, et que j’aime être bousculé dans mes habitudes culturelles. Ce qu’il s’est passé par exemple avec le roman Abondance de Jakob Guanzon (éditions La croisée), et que je recommande vivement.
7/ Quelle est la chose la plus bizarre qu'on t’ait dite ou demandée à une séance de dédicace ? Et de manière générale, que peux-tu nous dire des moments partagés avec tes lecteurs que ce soit en salon ou en rencontre en librairie.
« Bonjour, vous avez du sang dans vos livres ? Parce que moi, je ne lis que des histoires trash ». Cette phrase, je l’ai entendue des dizaines de fois en festivals il y a deux ans à l’époque des Gentils… et je recommence à l’entendre car j’ai repris la route avec Qu’un sang impur. Je sais qu’il en faut pour tous les goûts, mais ce genre de remarques en dit long sur notre époque qui glorifie le sensationnalisme et la violence gratuite. Je le déplore, mais c’est ainsi. Quant aux lecteurs, ceux qui découvrent ton univers avec enthousiasme et te suivent avec fidélité depuis plus de dix ans, c’est extrêmement touchant. Ce sont des moments forts, de réels moments d’échanges, et certains lecteurs sont devenus des potes au fil des ans (ce qui ne les empêche pas d’être critiques envers mes bouquins). Oui, quand on est auteur, on est mal rémunéré. Oui, c’est difficile d’écrire un bouquin et d’en maîtriser tous les aspects à chaque page. Oui, c’est un quotidien de rigueur et de stress. Oui, le succès d’un bouquin est souvent arbitraire et on ne contrôle rien, mais malgré tous ces bémols, on a énormément de chance d’être publiés et de pouvoir partager avec les lecteurs. En ce qui me concerne, j’en ai conscience tous les jours, d’autant que mes sujets ne sont pas les plus faciles et que mon écriture est « particulière » (pour citer une lectrice croisée à Quais du polar).
8/ On sent dans ton écriture tes nombreuses influences musicales, littéraires et cinématographiques. Peux-tu nous en dire un peu plus sur les artistes et auteurs qui influencent ton travail ?
Ils sont si nombreux… j’ai découvert le cinéma vers l’âge de 13/14 ans, et forcément, quand tu vois Le Parrain, L’exorciste, Les dents de la mer ou encore La planète des singes à cet âge-là, ça change ta vie en profondeur. Le sens du récit de Scorsese, le nihilisme de Friedkin, la maîtrise visuelle de Spielberg, tout ça m’a évidemment marqué et se retrouve dans mon écriture. Puis, il y a le cinéma de Louis Malle, Claude Sautet, Jean-Pierre Melville, Yves Boisset, Robert Enrico, tous ces réalisateurs doués pour raconter leur époque qui, parfois, est aussi la nôtre. D’autres réalisateurs me viennent à l’esprit comme Paul Thomas Anderson, audacieux et dont la virtuosité est toujours au service du récit, et Terrence Mallick qui sait capter des instants de grâce de la vie du quotidien et sans le moindre artifice. John Carpenter m’a aussi profondément marqué, au même titre que les romans de Jim Thompson, Sam Millar, Ed McBain, Benjamin Whitmer et David Goodis. J’aime beaucoup Goodis, il y a un truc à part dans son écriture, quelque chose de presque raffiné alors qu’il raconte ce qu’il y a de plus noir en nous. J’aime aussi le Camus de La chute, le Céline de Mort à crédit, la Colette du Pur et l’impur, l’humour absurde des Monty Python et l’humour bulldozer de Hara Kiri. Quant à mon rapport à la musique, mes bouquins parlent pour moi. Toute cette diversité a bien évidemment façonné mon écriture et son côté protéiforme.
9/ Ton nouveau roman Qu'un sang impur est sorti il y a peu. Un roman fort, percutant, sur un monde qui va mal. Peux-tu nous en dire plus ? Nous parler un peu de sa genèse.
C’est le bouquin que je portais en moi depuis la période Covid. Tout ce qu’il s’est passé pendant et depuis cette épidémie a « mijoté » pour donner ce roman qui est, je m’en rends compte à présent, l’un de mes plus complets. Ce huis-clos dans un petit immeuble sur fond d’épidémie m’a permis de parler du monde d’aujourd’hui, un monde de plus en plus malade qui s’entredévore entre clivages politiques et capitalisme féroce.
10/ Un scoop pour le blog ? Quelque chose à ajouter (que nous n'aurions pas évoqué plus haut) ? Tu peux parler de tout ce que tu souhaites..
Un scoop ? Au moment où j’écris ces lignes, je suis dans une période de ma vie où je me repose un peu, sans écrire de manière compulsive, ce qui est nouveau pour moi. Et très agréable. Merci pour cette interview qui m’a permis de me raconter un peu, pour celles et ceux que ça intéresse.
😎 les portraits précédents à retrouver sur notre blog :
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