Portrait d'auteur #50, Jean Calembert, mars 2025




Bonjour Jean

Merci d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et de permettre ainsi à nos lecteurs de mieux te connaître et de découvrir ton univers.

1/ Peux-tu te présenter à ceux de nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore ?

Je suis né à Liège en août 1942 et je vis aujourd’hui les deux tiers du temps à Bruxelles et un tiers en Drôme Provençale. Docteur en droit, expert en marketing, cadre dans des multinationales puis patron de PME, j’ai fait plusieurs fois le tour du monde et j’ai eu une vie professionnelle hyperactive jusqu’en 2019, le jour de mes 77 ans.  Je me suis mis à écrire et j’y ai pris un plaisir fou. J’en suis à mon troisième livre. 

2/ Tu es visiblement un passionné d'art mais un tout jeune écrivain. Comment s'est faite la rencontre avec l'art contemporain ? Et comment est né ce beau projet sur Jaber ?

C’est vrai que depuis mon plus jeune âge, j’ai été attiré par l’art, la littérature et la musique, plus que la peinture ou la sculpture. Et presque toujours en réaction hostile aux goûts très classiques de mes parents. Mon père avait l’intégralité des œuvres de Proust, Jules Romain, Balzac, mais je préférais lire Apollinaire, Radiguet et Boris Vian. Maman adorait Chopin, Tchaïkovski, Franck Pourcel, André Claveau ou Yvette Giraud, j’écoutais John Coltrane, Sonny Rollins, Brassens et Léo Ferré. J’ai découvert l’art contemporain beaucoup plus tard grâce à un copain de guindaille, Jean-Pierre Guerrier (un grand peintre naïf) et à ma plus jeune sœur, Joëlle et à ses amis de l’Académie à Liège. Cela a été un véritable choc. Et depuis lors, c’est devenu une passion avec une préférence pour les arts et les artistes hors-normes (Paul Klee, Max Ernst, Nicolas de Staël, Joaquin Torres Garcia, Jean-Michel Basquiat).

Le projet sur Jaber est né de façon insolite. Je prospectais les réseaux sociaux à la recherche de nouveaux lecteurs pour mes deux premiers romans. J’étais en contact depuis plusieurs mois avec un soi-disant amateur qui venait enfin, de décider d’acheter, pas un livre, mais les deux. Le joyeux farfelu me précisait, « par sympathie » : il ne lisait JAMAIS ! Je me suis donc intéressé à lui. C’était Raymond Michel (alias Michel Ray) un ex-galeriste, amoureux fou d’un peintre que je ne connaissais pas, Jaber qui m’a d’emblée fasciné. Au fur et à mesure que je faisais connaissance avec le personnage, il m’est apparu comme étonnamment proche, attachant et j’ai voulu tout savoir sur lui, son enfance, ses proches, son œuvre, son parcours, sa vie, sa fin de vie. J’ai multiplié les recherches jusqu’à retrouver la femme de Jaber aux Etats-Unis. J’ai accumulé les témoignages, parfois contradictoires et puis je me suis lancé dans l’écriture avec passion mais presque d’une traite, en suivant pas à pas les moments magiques de son itinéraire. Très vite, j’ai senti que, sous mon impulsion, le personnage prenait un vie propre et que je pouvais le ressusciter, légèrement différent mais plus vrai que vrai. D’où les chapîtres « Jaber et moi ».

  

3/ Quel genre de lecteur es-tu ?

Je dirais curieux, enthousiaste, versatile. Je lis beaucoup de romans, surtout américains (Miller, Durrell, Fante, Kerouac, Baldwin, Harrison, Bukovski), peu français et surtout aux Editions de Minuit (Robbe-Grillet, Claude Simon, Jean-Philippe Toussaint), Houellebecq, les premières œuvres de Haruki Murakami, Roberto Bolaño, Fernando Pessoa. Un peu de poésie (Apollinaire, Aragon, Eluard, René Char, Jacques Prévert, Blaise Cendrars, Pessoa). Quand j’aime bien un auteur, je collectionne presque tous ses livres, je recherche ses œuvres mineures, ses premiers écrits, j’essaye de revivre sa vie.

4/ Quel est ton 1er souvenir de lecture et ton dernier coup de cœur littéraire ?

Sans doute Bob Morane … J’en ai lu des tonnes mais il en reste peu de traces ! Les premiers livres qui m’ont laissé un souvenir marquant sont : Le Mythe de Sisyphe de Camus, Le Hussard Bleu de Roger Nimier et Ulysse de Joyce. Je les ai relu récemment, il y a quatre ou cinq ans. Quand je lis, je lis d’une traite, souvent entre deux et quatre heures par jour.

Mon dernier grand coup de cœur, c’est un petit livre de Jean-Philippe Toussaint « La salle de bain », son premier roman, 131 pages, une petite merveille qui m’a scotché dès le début, un récit drôle et plaisant. Ce n’est ni une chronique, ni un roman. Mais un bric à brac d’émotions, de réflexions, de souvenirs saugrenus, de fantasmes  ciselés, avec entrain, à l’intérieur d’une architecture millimétrée. Un vrai choc ! Dans la grande tradition des Éditions de Minuit.

5/ Quel est ton premier lecteur ou ta première lectrice ?

Je suis peu connu, je bénéficie de peu de publicité et si mes livres se trouvent en librairie, ils sont rarement mis en évidence. La vente repose essentiellement sur les réseaux sociaux et des achats très impulsifs « coups de cœur. » C’est bizarre mais c’est souvent un(e) inconnu(e) qui, Dieu sait pourquoi, a eu le coup pour un trio bizarre : le jeune écrivain de 82 ans, une couverture qui frappe et un titre qui accroche. « Où vas-tu, nuage ? » est le premier de mes livres soutenu par un éditeur hors normes, L’œil de la femme à barbe, légitimé par sa présence au Centre d’Art Brut de Lausanne et à la Halle Saint-Pierre et soutenu par une poignée d’amis de Jaber et de collectionneurs.

6/ As-tu un rituel d'écriture ? Un lieu particulier ?

Oui, quand j’écris, je me force à écrire tous les jours de 10H00 à 12H00 et de 14H00 à 16H00 sauf le week-end où je me force à relire. Il m’arrive d’écrire en fin de journée ou la nuit mais ce sont des variations sur des paragraphes existants ou des inspirations soudaines, des images fugitives, quelque chose qui rôde en rêve, fantasme et réalité. Je résume les données puis je les archive et je fais le lien avec un personnage, un lieu ou un moment.

J’écris toujours dans la salle à manger où j’installe mon lap top au bout de la grande table et au milieu. A droite, à portée de main, j’ai les derniers manuscrits. A gauche, des tableaux chronologiques de synthèse avec un grande colonne verticale qui correspond à un période déterminée (en général une décade) divisée en deux : la partie supérieure pour les acteurs clés, la partie inférieure pour les événements marquants de la période. Le reste de la table et les alentours (une grande commode à gauche et un vaisselier à droite)  sont occupés par des piles plus ou moins importantes  de documents de toutes sortes, stockés dans des fardes de différentes couleurs. J’aime ce « désordre ordonné » et me déplacer d’un point à l’autre. En plus du coin de travail, j’ai un coin réservé à la relecture à gauche et un coin pour dessiner des « schémas récapitulatifs »,  des réseaux de personnages, des architectures de chapitres. Et une immense poubelle, où je jette avec entrain le matériel obsolète. Je garde le reste dans des grandes fardes archivées que je revisite régulièrement.

7/ Quel est le plus beau compliment que l'on t’ait fait sur ce livre ?

Celui d’une amie de Jaber : "Quel bonheur cette lecture. Je connaissais Jaber comme beaucoup, j’ai des peintures comme beaucoup, côtoyé Laurent Danchin, découvert ces artistes qui n’ont pas que le nom. Mais le merveilleux a été de découvrir un Jaber dont j’ignorais la profondeur au travers d’un auteur qui ne l’a pas connu!!!’ Cela tient de la magie, alors un grand merci pour ce bel hommage, monsieur l’écrivain. »

8/ Quelle est la chose la plus bizarre qu'on t’ait dite ou demandée à une séance de dédicace ?

Il ne se passe jamais rien de très spécial à ces moments-là. Sans doute à cause de la contrainte du temps et du peu d’intimité entre l’auteur et ses futurs lecteurs. Dans ce contexte assez réducteur, je n’ai jamais rencontré de demandes ou de déclarations « bizarres ». Et c’est dommage !

Par contre, je passe un temps fou à trouver les mots justes pour les lecteurs qui entrent en contact avec moi via les réseaux sociaux. Et je garde un contact étroit avec la plupart d’entre eux.

9/  Tu es l'auteur de deux romans. Peux-tu nous les présenter ?

J’ai toujours écrit et aimé écrire. En français, pour le plaisir et surtout en anglais, pour le boulot. Des milliers de rapports de synthèse où il fallait communiquer de façon claire, simple mais structurée des choses très compliquées à des gens qui maîtrisaient mal l’anglais (des japonais, des chinois, des pakistanais, des maliens, des argentins, des italiens ou des espagnols). Via des supports très contraignants avec peu de mots, des phrases courtes et une histoire (un fil rouge) qui tienne mon auditoire en haleine du début jusqu’à la fin. En bref, l’art de raconter une histoire ! Une fantastique école qui m’a marqué à jamais.

Mon premier roman, écrit à 77 ans, « Joe Hartfield, l’homme qui voulait tuer Donald Trump »  a comme tous mes livres deux « fils rouges », un largement autobiographique, l’autre totalement inventé.

Les héros sont Joe Hartfield, un ami noir rencontré à Omaha en 1960, Marlène et Marcus et, à la fin du livre, en 2020, Joe essaie de tuer Donald Trump. L’auteur est Jean Duchêne (mon sosie). Le découpage de l'histoire se fait par couples et par tranches de vie. On suit, pas à pas, les parcours de vie des quatre personnages principaux, Joe, Marlene et Marcus (parcours inventé) et de Jean(parcours assez proche de la réalité mais fantasmé) dans un récit foisonnant étalé sur plus de soixante ans.

Dans mon second roman « Le Mal-Aimé », on retrouve la même dualité réalité/fiction avec la description des trajets de vie contrastés d’un petit cercle familial.

 Le héros, Lionel, est un chirurgien retraité, replié sur lui-même, loin de ses enfants et qui trompe son ennui en regardant couler la Meuse. A 70 ans, Il est victime d'un AVC et cet accident va tout changer. On découvre les autres membres du clan qui, de rebondissement en rebondissement vont se rapprocher de Lionel. Dans sa maison de repos, ce dernier se bat pour retrouver toutes ses facultés, se rapprocher de ses enfants, écrire, explorer ses souvenirs, séparer le vécu des rêves et des fantasmes. Les membres du clan vont se remettre en question dans des visions parallèles dont on ne découvre la solution qu’au dénouement final.

Deux romans, très différents. Le premier, un peu foufou, égayé par des personnages forts (Hugh Heffner, le patron de Playboy, Derek Hartfield, le père de Joe, l’écrivain stérile emprunté à Murakami), avec des scènes l’humour déjanté (la tentative d’assassinat de Donald Trump) et toujours des ondes positives (l’amitié inébranlable entre Joe, Jean, Marlène et Marcus).             Le second, plus construit, plus psychologique, plus en retenue. Je m’étais fixé trois règles simples : moins de personnages, un univers temps plus court et une histoire toute simple enrichie par un mystère qui tienne les lecteurs en haleine jusqu'à la fin. Je crois que j'ai bien réussi cette gageure !

10/ Un scoop pour le blog ? Un projet en cours ? Quelque chose à ajouter (que nous n'aurions pas évoqué plus haut) ?

J’ai un gros week-end de signature à Paris les 14, 15 et 16 février (successivement avec la Collection Alexandre Donnat, la Halle Saint-Pierre et le Café littéraire L’Impond’Érable) suivi d’autres événements du même type en Belgique à Bruxelles, Liège et Gand.

Et puis, un rêve, j’ai un contact pour la traduction de mon livre en arabe. Les témoignages des proches de Jaber, des membres de sa famille, des amis tunisiens et kabyles m’ont énormément touché par leur qualité, leur authenticité et l’éclairage nouveau qu’ils projetaient, souvent sur un tout petit fragment de sa vie. Ils ne tarissaient pas sur ces épisodes mais manifestement étaient ignorants de beaucoup d’autres choses qu’ils ont découvertes à la lecture de mon livre. Je suppose que beaucoup de leurs semblables, surtout ceux qui maitrisent mal le français, seraient intéressés à une version arabe de ma biographie romancée. Sans doute un bel hommage à rendre à Jaber. A suivre !

A retrouver sur le blog :

- Où vas-tu nuage ?

😎 les portraits précédents à retrouver sur notre blog : 


- # 37 Gilles Paris

2024

- # 44 Camille Deforges, libraire
- # 48 Nicolas Nutten  

2025   

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