Auteur à la page #35, Jacques Saussey, septembre 2023
Bonjour Jacques,
Après nous être croisés au Festival Sans Nom à Mulhouse en 2022, puis, plus récemment à Auvers-sur-Oise, pour le festival du polar Auvers Noir, il nous semblait évident que ton portrait d'auteur devait figurer dans notre modeste galerie sur le blog.
Merci de nouveau d'avoir accepté et d'avoir pris le temps nécessaire pour apporter ces réponses si détaillées et pertinentes. Elles vont faire la joie des lecteurs.. ceux qui te connaissent et ceux qui n'ont pas encore eu le plaisir de découvrir tes romans.
Peux-tu te présenter à ceux de nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore (serait-ce possible) ?
Bonjour à toutes et tous. Ancien cadre technique en métier d’art, je suis retraité depuis 2022. J’habite un tout petit village de l’Yonne, où je goûte enfin au calme après plus de quatre décennies de transports en commun et de vie professionnelle parisienne. J’ai écrit ma première nouvelle en 1988, et mon premier thriller Colère noire en 2008, après avoir remporté l’année précédente le concours organisé par la bibliothèque de Laval, sur le thème « Alfred Jarry est mort », à l’occasion du centenaire de la mort de l’écrivain. Il m’a donc fallu vingt ans pour franchir le Rubicon entre le texte court et le long, ce qui ne fait pas de moi le type le plus rapide que je connaisse sur ce point, et peut donner de l’espoir à l’un ou l’une d’entre vous qui hésiterait encore à se lancer…
Quel genre de lecteur es-tu ?
En dehors des documents nécessaires aux recherches que je mène sur les sujets que je connais peu — voire pas du tout — afin de nourrir mes propres projets d’écriture, je ne lis quasiment que des thrillers, polars et romans noirs. Principalement des auteurs français, aujourd’hui, et notamment de nombreuses femmes qui n’ont rien à envier en talent ni en imagination à leurs collègues masculins. Je me suis réessayé à certains grands classiques qui m’avaient tant emmerdé au lycée, mais j’ai dû me rendre à l’évidence : ils m’emmerdent toujours autant. Ce n’est pas grave, ces gens sont tous morts depuis longtemps, et ils ne m’en voudront pas, j’en suis sûr…
Quels sont ton 1er souvenir de lecture et ton dernier coup de cœur littéraire ?
Le premier souvenir, exactement, j’ai un doute. Mais Le mystère de la chambre jaune, de Gaston Leroux, tient le podium avec Le chien des Baskerville, de Conan Doyle, et Tarzan, le Seigneur de la jungle, d’Edgar Rice Burroughs. J’ai gardé de ces lectures le souffle de l’aventure, du noir, ainsi que de la suggestion et de l’entourloupe cachée dans l’intrigue, dans lesquelles Conan Doyle excellait.
Pour mon dernier très gros coup de cœur littéraire, il s’agit de Somb, de Max Monnehay. Une écriture absolument remarquable digne des plus grands, une histoire complètement dingue alors que la base en est archi classique, un vrai page turner. J’ai a-do-ré, et je ne cesse de le conseiller depuis.
Quel est ton premier lecteur ou ta première lectrice ?
Ma première lectrice, c’est ma chère et tendre Nathalie. Elle prend son temps, décortique mon intrigue, et m’indique les endroits où un truc la chiffonne. Comme le thriller n’est pas particulièrement sa came, son regard est à chaque fois neuf sur le genre, et il lui permet de s’affranchir d’un certain nombre de codes, de déceler des points que j’ai pu arrondir trop vite, ou passer sous silence tant ils me semblent évidents. Si elle tique sur une scène, c’est qu’il y a un loup quelque part. J’en reprends illico l’écriture, parce que d’autres qu’elles le verront aussi, ça ne fait aucun doute.
Il y a en fait une autre personne qui lit le livre en même temps que Nathalie : Christine Valrig, une amie d’enfance qui exerce le métier de juge. Elle est mon garde-fou à ce niveau depuis mes débuts, et la cohérence judiciaire de mes romans ne tient debout que grâce à ses conseils très pointus dans ce domaine.
As-tu un rituel d’écriture ? Un lieu particulier ?
J’ai écrit quatorze romans dans le train en me rendant au travail à Paris, à raison d’une heure chaque matin et chaque soir sur deux de chaque trajet aller et retour. Un rythme très marqué, et très limité. Une fois que le TER est en gare, il faut aller au boulot, il n’y a pas à tortiller. Il m’est arrivé de me caler une fois ou deux dans un café pour achever une scène particulièrement tendue, mais la plupart du temps, j’ai géré en appuyant sur pause toute la journée. Je ne pensais qu’à ça, et j’avais hâte que les heures d’atelier filent dans le sablier pour me remettre au clavier. Même si ça a été assez compliqué au début, j’ai fini par m’habituer à cette obligation. À partir de 2020, avec l’arrivée du COVID et la possibilité de télétravailler, je me suis organisé différemment. Mes quatre heures de transport quotidiennes se sont transformées en autant de temps d’écriture, la fatigue en moins. J’ai donc avancé bien plus librement sur l’Aigle noir que sur tous les précédents. Depuis, j’ai pris de nouvelles habitudes. J’écris tous les matins, entre 6 h et midi, environ, et j’ai le reste de la journée pour vaquer à mes autres occupations. Sans oublier la sieste, bien entendu. La sieste, c’est primordial, quand on se lève tôt…
Quel est le plus beau compliment que l’on t’ait fait sur un de tes romans ?
Le plus beau compliment qu’on m’ait fait sur un de mes livres, c’est à propos d’Enfermé.e. De nombreux lecteurs, hommes et femmes, sont venus me voir ou m’ont écrit pour me dire que, non seulement ce livre les avait profondément touchés, mais qu’il leur avait ouvert les yeux sur les souffrances que vivent les personnes trans rejetées par leur famille et/ou par la société. Des personnes qui, comme moi, n’avaient jamais réfléchi à cela auparavant, tout simplement parce que, comme moi avant le coming out de ma nièce Aurore, ils n’y avaient jamais été directement confrontés. Il y a eu aussi, bien sûr, des lecteurs et lectrices transgenres qui m’ont fait part de leur émotion. Je n’aurais jamais imaginé que ce roman provoquerait des retours si intenses. Je dois avouer que j’ai été comblé.
Quelle est la chose la plus bizarre qu’on t’a dite ou demandée à une séance de dédicace ?
De signer un livre de ma complice Claire Favan, de son nom, sur la dernière page, à l’envers, et de la main gauche. Je pense que ce lecteur était un vrai psychopathe…
Ton dernier roman L’Aigle noir marche très bien et a déjà reçu plusieurs prix. Nous sommes ravis pour toi. Il y a une atmosphère particulière, très conviviale et fraternelle entre auteurs de polar. Cela se ressent lors des salons par exemple.
Peux-tu nous parler de ce « monde » là, de l’ambiance et de ce qui vous lie ?
Oui, il s’agit d’une vraie fraternité. De fait, nous avons tous un point commun. Chacun et chacune d’entre nous est passé par le même tunnel sans fin et incertain du premier roman. Une fois auréolé de l’incroyable chance d’être publié et de le voir trôner sur l’étagère d’une librairie, notre petit cœur s’est mis à battre la chamade. Nous avons timidement cherché des endroits où faire connaître notre bouquin, où sentir vibrer l’espoir que, ça y était, on était un auteur. Pas un écrivain, non. Un raconteur d’histoire. Sans s. Parce que c’était juste la première.
Alors, nous avons prospecté les salons du livre, ceux-là que nous parcourions auparavant en quête des derniers ouvrages des romanciers qui nous fascinaient.
Et puis, un jour, on se retrouve au milieu d’eux. Ils partagent leur table, leurs sourires, et l’amitié naît au détour d’une conversation qu’on n’ose pas déranger, et à laquelle on t’invite à participer. Ils te montrent que, célèbre ou pas, prolifique ou non, nous sommes tous faits de la même pâte protéiforme. Chacun son parcours, sa notoriété, ses influences, ses espoirs et ses projets. Mais tous, à ce moment-là, sommes frères et sœurs de clavier derrière nos piles de livres. Le plaisir ultime est de découvrir le roman d’un de nos compères de plume afin que la fête dure encore plus longtemps, après que tout le monde est rentré chez soi, avec son histoire en cours qui lui grignote les neurones.
Aimerais-tu que tes romans soient adaptés à la TV ou au cinéma ? Si oui, une préférence particulière pour un de tes romans ?
Quelque chose se prépare à l’horizon, mais je n’ai pas le droit d’en discuter. Je sors donc mon joker sur cette question…
Un scoop pour le blog ? Quelque chose à ajouter (que nous n’aurions pas évoqué plus haut) ? Ton prochain projet ? Tu peux parler de tout ce que tu souhaites :
Mon prochain titre, Ce qu’il faut de haine, parait chez Fleuve le 12 octobre 2023. Après Paul Kessler dans l’Aigle noir, arrive un tout nouveau personnage, féminin cette fois. Je ne vous dirai pas lequel, parce que… vous verrez bien.
Je dois l’avouer, j’ai eu du mal à mettre un terme aux enquêtes de mon duo fétiche Daniel Magne / Lisa Heslin. Après Du poison dans la tête, une page se tournait de toute façon entre eux, c’était le moment ou jamais. Pour mémoire, Dennis Lehane a achevé sa série Kenzie / Gennaro après quelques titres seulement, ce qui m’a amené à réfléchir à la pertinence d’une telle décision. Ça m’a frustré, mais j’ai continué à dévorer ses livres. Magne et Heslin leur doivent beaucoup, d’ailleurs. C’est à cette époque que je les ai sortis de terre et que j’ai entrepris de leur donner chair humaine. Lehane est l’étincelle qui m’a incité à leur instiller la vie, et il m’a montré qu’une étincelle n’est pas éternelle.
Mais bon, je n’ai peut-être pas dit mon dernier mot avec ces personnages…
En tout cas, Paul Kessler reviendra en 2024, le roman est déjà achevé. Le tout, maintenant, est de lui trouver un titre. Et de travailler sur le suivant ! :)
A retrouver sur le blog :
- 10e édition du Festival Sans Nom, Mulhouse 22-23 octobre 2022
- La Terre c'est... Collectif, Illustrations Jack Koch : Soirée à la Galerie Médicis
- La première à Auvers (noir), mars 2023
C'est ça, l'ambiance polar :)
Avec Sonja Delzongle, marraine de l'édition 2023 de Auvers Noir
😎 les portraits précédents :
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