Danser encore, Charles Aubert : Marina
Danser encore, Charles AubertÉditeur : Istya et cie (7 septembre 2023)
Broché : 172 pages
© crédit photo Charles Aubert
Je suis sonnée, KO debout au moment où j'achève la lecture du roman de Charles. Car l'auteur nous livre un récit extrêmement poignant, d'une force incroyable. Une histoire qui vous prend aux tripes dès les premières pages pour ne plus vous lâcher. Je ne connaissais pas Johann Trollmann dit "Rukeli" mais à présent, je peux vous garantir qu'il ne quittera plus mes pensées.
Charles est un auteur que j'aime beaucoup, ce que vous savez déjà si vous suivez les publications du blog. Une rencontre lors d'un apéro polar avec Pocket, et tout de suite, comme une évidence. La découverte d'un univers bien à lui avec Bleu Calypso, une voix à part pour ce que certains ont décidé d'appeler "polar doux". Charles a depuis fait beaucoup de chemin, sa plume se faisant plus incisive, percutante, tout en gardant sa fluidité, la poésie et sa façon d'habiller de mille couleurs ses textes, tout ce qui fait que nous aimons tant son univers et ce qu'il écrit.
Dans son dernier roman, Charles se calquait sur l'échelle de Beaufort pour séquencer son récit, la gradation partant de 0 (calme plat) pour aller jusqu'à 10 (tempête). L'auteur fait à nouveau preuve d'inventivité pour nous livrer l'histoire de Rukeli en chapitres cadencés en 10 rounds. L'intensité et l'émotion montant crescendo pour vous laisser sur le carreau, une boule au ventre et les larmes au coin des yeux dans les dernières lignes que vous lirez.
Charles Aubert rend hommage à Johann Trollmann dit "Rukeli" né en 1907 en Allemagne et devenu boxeur. Il est allemand, mais aussi tsigane, issu d'une longue lignée, ce qui fait de lui pour le régime naz.i en place un paria, un sous-homme. Rukeli sera déchu de son titre de Champion d'Allemagne (obtenu en 1928) et perdra même sa licence, avant que tout ne lui soit restitué bien des années plus tard. Rukeli, athlète de haut niveau, détenteur de nombreux titres est pour beaucoup tombé dans l'oubli mais Charles Aubert lui rend ici ses lettres de noblesse.
Un homme fier de ses origines et droit (son nom signifie "arbre") qui refusera jusqu'au bout de céder, de plier face à la barbarie. Un membre de cette grande famille tsigane, ce peuple du vent épris de liberté. Comme on peut le voir sur la couverture, Rukeli avait un regard incroyablement perçant, à la fois dur et fier, ne pouvant laisser quiconque indifférent. Et surtout une soif inextinguible de liberté. Craint par beaucoup de ses adversaires sur le ring, mais également éminemment respecté pour la pratique de la boxe élevée quasiment au rang d'art dans sa façon si particulière de bouger, esquiver, se placer qui évoquait sans détour une "danse" à tous ceux qui le voyaient combattre.
J'ai lu le roman de Charles quasiment d'une traite, entraînée par ce récit à la première personne si poignant et bouleversant. Celui d'un sportif de haut niveau, décidé à conquérir le monde mais que l'Histoire va cueillir en plein vol. Dès lors, lui ainsi que tout son peuple privé peu à peu de toutes leurs libertés n'aura de cesse que de trouver le moyen de protéger sa femme Olga et sa fille ainsi que tous les membres de sa famille du mieux qu'il peut.
Jusqu'à quel point un régime capable des exactions que l'on sait peut-il réduire un homme à sa plus basse condition ? En humiliant, en affamant, en privant des milliers d'individus des droits les plus primaires. Rukeli se dresse comme celui que cette idéologie raciste n'aura pu faire mettre un genou un terre.
Le jeune boxeur aura eu à plusieurs reprises l'occasion d'emprunter un chemin plus facile, de se fourvoyer face aux belles paroles du camp adverse. Mais soutenu par sa famille, animé par les siècles de traditions de son "clan" tsigane, de ceux vivant en ville comme ceux logeant au creux de la forêt et perpétuant les us et coutumes, il ne se fourvoiera jamais.
L'émotion ne peut que vous saisir en découvrant comment Rukeli a choisi de lutter jusqu'au bout, pour préserver sa famille. Ne jamais céder, ne jamais plier face à l'ignominie.
Dans une Allemagne aujourd'hui bien loin du conflit, il reste de ce grand champion, quid une place, un gymnase, une statue. Son nom a été réhabilité, ses titres rendus et sa fille a appris à l'âge de 15 ans seulement qui était son père.
Charles nous permet ici de faire perdurer le devoir de mémoire en nous relatant la vie de ce boxeur surdoué fauché bien trop jeune dont la vie lui aura été volée. Un très bel et vibrant hommage pour ne jamais oublier.
🥊 Bleu Calypso, sélection Nouvelles Voix du Polar, Pocket, 2020, Prix de l'évêché (prix spécial du jury), Yvon, Marina
🥊 Apéro Polar #Gang Pocket, février 2020
🥊 Soirée de remise du prix Nouvel Voix du Polar Pocket 2020 (sept 2020)
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